Elle s’était toujours fantasmé en aventurière. Elle avait 2 gosses, un crédit d’appartement, et le même mec depuis 15 ans. Elle avait besoin de sécurité.
Toutes ses économies virées sur son compte, le portable abandonné sur le plan de travail presque clean de la cuisine, son sac de week end fourrés de ses jeans slim portés tels des uniformes, et quelques autres utilitaires, la joue collée à la vitre refroidie du Corail intercité , tout redevenait enfin possible.
Plus de disputes à régler, plus cette culpabilité de ne jamais en faire assez, plus de mots à toujours peser pour ne pas froisser et garder le calme du foyer, plus d’attente ou de déceptions des amis trop occupés, juste elle.
Elle vierge, sans attaches, sans planning, un nouveau futur à inventer. Vertige des possibles et exaltation de l’inconnu. Ni le bébé qui braille depuis le départ, ni l’odeur tenace de la junk food du passager derrière ne pourront arracher son regard du vide intérieur délicieux dans lequel elle se laisser couler. Les questions pragmatiques qui l’assaillent sont vite refoulées. Elle s’y attardera plus tard. Pas question de briser cet instant unique de liberté retrouvée. Bercée par ses rêveries, et les trainées de pluie qui griffent la vitre, elle flotte, dans son cocon d’égoïsme.
Profitant d’un we prévus chez ses beaux parents, dont elle pouvait décrire le déroulement immuable en quelques mots : manger, encore et encore, parler de rien, pour rien, elle avait prétexté une grande fatigue et des dossiers en cours à régler. Rien n’avait été réfléchi, prévu, les mots d’excuses étaient sortis,naturels, logiques. Et le voyage avait pu être évité.
Une fois la porte refermée derrière le trio, l’évidence comme une urgence vitale lui avait sauté à l’esprit. Elle s’était sentie une noyée remontant à la surface, guidée par un appel d’air, irrépressible. Il n’y avait que ça à faire.
Vite, ne pas réfléchir à l’après ni au comment, courir attraper le bus puis dévaler l’escalator du métro, direction la gare saint Lazare. Du temps de l’inamoramento, Trouville était leur refuge amoureux. C’était là que tout recommencerait. Ses tripes serrées, telle une évadée qu’on allait rattraper, le regard aux aguets , scrutant les autres passagers comme s’ils savaient, elle avançait en fugitive.
Allongée sur le king size bed de l’hôtel vieille france , chic et chaleureux qu’elle a eu la chance de trouver, elle contemple le plafond, sans vraiment le voir. Comment vivre cette première soirée? Comment faire honneur à tous ces possibles? Surtout rien qui ne ressemble aux années passées, surtout rien qui ne soit sécure, connu.
Le sourire aux lèvres , l’oeil sombre soudain animé d’une flamme mutine et vivace, elle se redresse et bondit sur ses pieds.
Direction une de ces boutiques où 3 vendeuses vous dévisagent dès le pas de la porte foulée. Celle fois, elle les regardera dans les yeux. Mieux, elle leur parlera avec déférence. Elle peut, elle est une autre. Elle est qui elle veut. Pas à tergiverser, elle choisit une robe noire, dos nu, courte, mais sobre. Une paire de talons viennent remplacer ses éternelles boots. Un détour par le rayon beauté , elle regagne frondeuse son hôtel.
Maintenant elle se regarde, bienveillante, s’autorise à se voir femme, joue avec sa longue chevelure toujours contenue, jamais peignée. Maintenant elle a le temps, son temps. Elle peut être futile. Elle a le droit de se vouloir belle et désirable pour sa nouvelle vie. Sinon pourquoi être partie? Pourquoi laisser germer dans le coeur de ses rejetons les graines du sentiment terrible de l’abandon. Elle chasse cette pensée. C’était ça ou s’étioler, en avançant comme un robot programmé pour l’abnégation. Qui cherche t’elle à convaincre? En avant!! Elle se met en valeur, elle veut qu’on la regarde.
Au bar de l’hotel , elle est une héroïne, qui savoure son cocktail au son feutré du piano, cliché des films qui structure son nouveau personnage. La nuit sera à l’image de cette soirée, intense, folle. Elle sera Maude, et répondra aux sollicitations du premier mâle viril qui l’accostera.
Dimanche soir, la clé tourne dans la serrure, ils s’arrêtent de jouer, courent se lover dans ses bras, elle embrasse leurs cous si doux. « Maman on a gagné, on est rentré les premiers ». Elle regarde leur père, toujours aussi beau et rassurant. Elle sourit, sereine, la parenthèse enchantée se referme. Elle était partie pour mieux revenir.
Par Alicealice
Alicealice nous dresse ici le portrait d’une femme en rupture, en recherche d’elle-même. Elle part, probablement pour partir vraiment au départ. Puis finalement elle revient, constatant qu’elle avait besoin d’un aparté, mais pas d’une rupture vraie. C’est une certaine transgression, c’est la réalisation d’un fantasme, mise au service du maintien du couple et de la famille, plutôt qu’utilisée à sa destruction. On ressent bien le glissement de cette femme, un peu « terne » sans doute au départ, davantage perdue qu’en réelle rupture de tout, qui doit se forcer pour sortir d’elle-même ; puis son passage de chrysalide à papillon, le temps d’un week-end. Le texte d’Alicealice se glisse dans la tradition des textes de « crise existentielle », avec une jolie sensibilité, et en bouclant la boucle de manière « douce » par un retour à la famille, que l’on ressent comme apaisé.
Un petit peu de la même manière que Loulou la Rose, je crois que le texte d’Alicealice gagnerait en force en mettant en scène de tous petits détails très concrets, en apparence sans doute anodins, mais qui permettraient de mettre en évidence la réalité des sentiments de cette femme. Elle précise fort justement qu’il faut « faire honneur à tous les possibles », ça bouillonne en elle. Il serait intéressant de savoir comment ça se traduit. On peut imaginer (simples exemples) qu’elle foire son vernis à ongles et le recommence 3 fois, parce qu’elle n’est plus habituée à s’en mettre, mais qu’elle est bien décidée à ne pas lâcher l’affaire ce WE là. Qu’elle décide de fumer alors qu’elle ne fume plus depuis ses grossesses… Qu’elle a envie d’aller au casino mais y renonce parce que ça, quand même, c’est trop pour elle. Que subitement elle a une faim de loup et envie d’un hamburger géant à 16h30 alors qu’elle mange plutôt fruits et légumes habituellement. Etc… A réfléchir. Ces petits évènements concrets permettraient de suivre l’évolution des sentiments de cette femme (y compris si ça part dans tous les sens) au plus près d’elle, en complément des faits narrés par narration externe.
Et puis surtout, que s’est-il passé cette fameuse nuit du samedi au dimanche ? Est-ce qu’elle a été le déclencheur du retour au foyer ?
Cette femme m’a fait penser à l’un des personnages du livre de Delacourt « les 4 saisons de l’été ». Je te le conseille Alicealice, tu y verras sûrement des liens ;-)!
Tout à fait !!!!!!!!!
Je ne connais pas ce livre, merci du tuyau 🙂 et de vos retours tous très justes!
Chic alors, un livre de plus sur ma PAL! 🙂