« Alice retrouve son frère et sa sœur ».
Sœure. Alors, là, je mets un « e » parce que c’est féminin. Et frèr, c’est masculin, j’en mets pas.
« Ils marchent dans l’allée. »
Les 3 enfants, 3 : plusieurs, pluriel. Je mets un « s » à « ils » et un à « marches ». « Dent la lait ». On dit le lait, je le sais. Ou dent de lait donc c’est pas ça non plus. Ça doit être un mot que je connais pas. Je l’écris comme ça se prononce et je rajoute un « e » parce que c’est féminin : « Ils marches dent la lée ». Papa ne va pas s’énerver cette fois, j’ai tout fait bien comme il m’a dit. Je vois bien qu’il essaye de rester calme, il serre les dents, soupire, détourne la tête, se lève, tourne autour du bureau, se rassoit. Mais il finit toujours par exploser : « mais Quentin, Bon Dieu, réfléchis ! Ça fait 10 fois que je t’explique, c’est pas possible !! On va pas y passer la nuit !!! »… Et là, c’est mes larmes qui explosent. Ça fait comme le jet de la douche quand on l’allume trop fort. Y’a des petites gouttes qui partent dans tous les sens. Je sais bien qu’il me trouve idiot. Pourtant, je travaille dur. Je préférerais jouer avec mes copains que de rester enfermé avec un Bescherelle.
Au moins, avec Thérèse, on se marre bien. Thérèse, c’est une copine de maman, elle me garde pendant les vacances. Moi, quand je serai grand, je voudrais être comme Thérèse. Parce que Thérèse, elle est pas sérieuse comme les autres adultes. Elle fait des bêtises et raconte des mensonges pour avoir des pizzas gratuites. L’été dernier, maman lui avait demandé de me faire faire des dictées. J’ai bien vu que ça la gonflait autant que moi. Mais elle avait promis alors, elle était bien embêtée… Un soir, elle s’est assise à côté de moi, avec une feuille et un stylo, elle a tiré sur sa cigarette et elle a dit : « allez, Gaminot, faut qu’on s’y mette ! ». Elle a commencé à me dicter plein de gros mots : « cul de vérole verte, purée de pois cassés en boîte, quelle saloperie de topinambours, couillon de la lune,… ». Elle m’expliquait pourquoi il fallait un « l » à « cul », moi je rigolais et du coup, je m’en souviens : c’est parce que ça vient de « culotté ». Je crois que quand on rigole, on apprend mieux. Plus tard, je ferai des études pour le prouver. Je rencontrerai des gens, je ferai des calculs et j’expliquerai à tout le monde qu’il faut faire rire les enfants pour qu’ils deviennent intelligents. Maman m’a dit que ce métier s’appelait chercheur (et Papa a répondu qu’il fallait être très fort en dictée). Mais moi, je veux pas être chercheur, je veux être trouveur. En attendant, ça m’aide pas beaucoup car y’a jamais de mots drôles dans les dictées de Martine.
« C’est fini, je ramasse les copies. Alors, notre Quentin national, qu’est-ce que ça donne ? »
Je sens les gouttes monter mais pleurer, c’est la honte. Alors, je me mords les joues et je fais semblant de trouver ça drôle, comme les copains. Mais cette fois, c’est sûr, je vais avoir une bonne note. Et les copains, ils arrêteront de rigoler quand Martine m’appelle « le Quentin national ».
« Pfff, Quentin, c’est pas possible mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ?!… ».
Ce soir, je suis seul à la maison avec Lisa. J’ai fait réchauffer le plat même si j’ai eu du mal à lire ce que papa avait écrit. J’ai aidé Lisa à se laver les dents. Elle voulait que je lui lise une histoire alors j’en ai inventé une, qui parlait d’armoire et de baguette magique. Après, j’ai appelé maman pour lui dire que Lisa dormait. Elle m’a félicité et moi, j’ai pensé : ça ne va pas durer, demain, elle aura ma note de dictée. C’est à ce moment-là que le téléphone a sonné.
« Ben Gaminot, c’est quoi cette voix tristoune ? »
J’ai expliqué à Thérèse que c’était à cause de la dictée des mots tristes.
« Mais Gaminot, on n’a pas besoin d’être un as en dictée pour être heureux et pour réussir ! Regarde ta mère, elle écrit comme un balai à chiotte! »
Et là, j’ai eu l’impression d’avoir fait une pause. J’ai repassé le film de ma vie à toute vitesse et j’ai compris : pourquoi maman me laisse jamais de mots, pourquoi elle est aussi triste de me voir galérer, pourquoi c’est Papa qui m’aide en français… Elle aurait dû me le dire, ça m’aurait fait du bien de savoir qu’elle me comprenait. Je me suis aussi dit que les chiens ne faisaient pas des chats et que c’était peut-être bien de sa faute si j’y arrivais pas. J’étais très en colère.
Les mardis, Martine nous demande d’écrire une phrase. J’ai su ce que j’écrirai le lendemain : « la mer, quelle saloperie ! ».
Par Ariane
Bonjour à tous !
Après 10 ans sans prendre la plume, je me lance dans une nouvelle aventure !
Ariane nous propose ici un texte autour du thème de la « révélation ». Cet enfant empêtré dans la langue écrite, dans toutes ses règles de (dys)fonctionnement, qui souffre de ne pas savoir, découvre presque par hasard que sa maman est dans le même cas que lui. On rejoint les thématiques du genre « secret de famille », sur un ton plutôt léger (le secret, ici, n’est pas un cadavre dans le placard…). La mise en scène des questionnements de l’enfant, de sa façon de réfléchir pour tenter de tirer son épingle du jeu le rend très attachant. C’est bien mené au plan narratif. Et puis franchement, on aimerait tous avoir croisé une Thérèse, non ?… !
Je pense pour ma part que ce qui fait la réelle originalité de ce texte, c’est justement la capacité de Quentin à se questionner sur la langue, à manier des concepts, même s’il tombe souvent, voire toujours, à côté de la plaque. Et comme c’est à la fois le début, et la fin du texte (où on comprend quand même que « la mer », c’est un peu une faute d’orthographe, et qu’il en veut un peu à sa maman…), je trouve dommage de perdre ce fil rouge.
Je pense qu’il serait vraiment intéressant de ponctuer le texte, de bout en bout, de réflexions de Quentin sur « comment ça s’écrirait » telle ou telle chose. Ce môme est intelligent, on suppose qu’il est un peu obnubilé par ses difficultés et par la pression que ça lui met sur les épaules. Je pense que ça pourrait être assez dans son caractère de se questionner, sans le dire, en permanence. Je donne un simple exemple : « Au moins, avec Thérèse, on se marre bien. Je crois qu’il y a deux r à marre, parce que ça veut dire pareil que rire, avec deux r aussi. ». Etc. Ainsi, on garderait le fil du fonctionnement de ce garçon, et on resterait au plus près de ses raisonnements, ce qui le rendrait définitivement proche de nous !
Merci pour ton retour Gaëlle!
C’est vrai qu’il serait sympa de reprendre un peu le fil rouge de ses interrogations, notamment linguistiques. J’ai été bloquée par les 4500 caractères (je crois que mon premier jet en comptait 6000 😉 ) mais ça devrait pouvoir se faire!
Et pour la petite histoire, Thérèse existe réellement, les dictées de gros mots sont du vécu 🙂 !
(Si tu la croises un de ces jours, fais-lui une grosse bise de ma part. J’adore l’idée de la dictée de gros mots!)
Et oui, il faudrait sans doute plus que 4500 caractère pour développer les interrogations de Quentin, mais tu vas avoir tout l’été pour le faire, na!
Ça marche pour la bise à Thérèse, avec plaisir Gaëlle! Et tu as raison, j’aurais de quoi m’occuper cet été ainsi 😉 !
Sincèrement, après 10 ans sans écrire, bravo ! Un texte dont j’ai apprécié la fraîcheur. Il est vraiment sympathique ce petit garçon qui narre ses démêlés avec l’orthographe, nous fait partager ses désillusions (ben oui, il pensait avoir tout compris et flûte, c’est toujours pas bien pour papa et la maîtresse!) Il est attendrissant jusque dans sa colère contre sa mère.
J’aime beaucoup les textes où l’on ne comprend rien au début et tout s’éclaire 4 lignes plus loin, là quand on comprend que le père dicte et l’enfant réfléchis comment écrire. Ce début est une très bonne accroche pour rester et aimé ce Gaminot.
La fin est un peu rapide mais j’imagine que c’est à cause de la contrainte du nombre de signes, à relire sans elle !
Par contre, je n’ai pas très bien compris le lien avec le thème. Comment vois-tu les choses Ariane ?
Merci pour vos retours Aquassiba et Nolwenn!
Effectivement, la fin est rapide à cause des caractères, ça manque de clarté du coup… D’ailleurs, Nolwenn, je pensais à une dictée de la maîtresse et non du père mais effectivement, c’est ambigu, je reprendrai ça!
Pour le thème, je plaide coupable : comme d’habitude, je me suis emballée, je suis restée fixée sur le jeu de mots avec « la mer, quelle saloperie » et j’ai tenté d’intégrer le changement de rythme à la fin, au moment de l’ « annonce ». Mais apparemment, c’est flag ;-)!
Avant de lire la question de Nolwenn, j’avais oublié moi aussi le fameux thème, tu t’es emballée mais ça m’a emballé aussi ! Très chouette texte, et le monologue intérieur de ce Gaminot est si criant de vérité, j’admire la manière avec laquelle tu nous amènes à vivre sa vie.
Et des bises à Thérèse, mais aussi à cette maman dont on devine toute la tristesse aussi.