Il faut que je vous parle de ma belle mère… Si si, vous allez comprendre. Ma belle mère est une femme étonnante. Elle a 91 ans aujourd’hui. C’est dire qu’elle a vécu une période rude pour les femmes ; particulièrement pour celle de son milieu : fille d’émigré espagnol, aînée d’une fratrie de six, puis épouse d’un mineur de fond que la vie n’a pas toujours mis de bonne humeur… Bref : une femme forte, une main de fer dans un gant de velours, une guerrière !
Elle a eu quatre enfants, trois fils et une fille, à une époque où les enfants vous arrivaient comme ça, un peu trop tôt, un peu trop vite, encore une fois… Quatre enfants élevés sans lave-linge et sans argent dans la bonne humeur d’une famille méditerranéenne et qui s’en est pas trop mal sortie quand on y pense.
Même si elle n’a pas choisi leur conception, qu ‘elle n’ a eu comme recours en désespoir de cause que sauter un peu à la corde et faire de la mobylette pour dissuader en vain le dernier de venir au monde, ma belle mère a fait à ses fils un merveilleux cadeau : leur date de naissance. Son fils aîné est né pour Noël,l e second le jour de son anniversaire et le troisième pour la fête des mères ! Sa fille n’ a pas eu besoin de ce message particulier, elle était tellement attendue par son père qu’il n’ a pas dessoûlé pendant trois jours ! Mais ceci est une autre histoire.
Alors qu’elle n’ a pas prévu, désiré voire accepté leur naissance, elle leur prouve en les mettant au monde que malgré tout, en dépit de tout, ils sont un cadeau, ; leur présence au monde est un cadeau. Qu’elle ait été capable de ce mystérieux tour de force m’émerveille.
Moi je suis née le 28 août : les moissons, les mûres, les orages… La fin des vacances, la rentrée quoi ! Et pour moi, d’ailleurs, l’année commence en septembre. Si je vous dis en novembre : « je ferai ça l ‘année prochaine », ne croyez pas que ce sera dans deux mois mais bien en septembre prochain !
La rentrée a donc toujours été un moment spécial pour moi , encore plus, sûrement, que pour vous qui êtes nés le 20 juin ou le 9 décembre.
La rentrée était un recommencement, une énergie nouvelle, un espoir.
La première rentrée dont je me souviens c’est celle du CP. Comme j’avais été impressionnée par ces rangées de bureaux alignés en face de celui de la maîtresse: Ah bon ? On ne joue plus ? Heureusement , Mme Fékar, l’institutrice a été mon premier grand amour.
D’autre maîtresses n’avaient pas bonne réputation ! : « Han… J’suis chez la Chevrolat ! t’es chez qui toi ? C’te chance ! » La boule au ventre le matin de la rentrée, vous vous en souvenez ? Être ou ne pas être dans la même classe que Thérésa sans qui l’année ne sera pas possible.;. La distribution des cahiers, des livres, leur odeur…
Mais ce ne sont peut être que ratiocinations de vieille femme… ? Je ne veux pas me laisser aller au piège de la nostalgie ; je n’ai vraiment pas besoin de ça.
Des rentrées de l’adolescence, je ne me souviens pas, l’essentiel n’était plus là, sûrement.
Bien sûr il y a eu les innombrables reprises de travail de ma vie professionnelle : sentir les semaines de vacances filer, les jours diminuer, le stress renaître. On reprend le travail, et on a l’impression qu’on était là la veille, et que les vacances c’était dans une autre vie, sur une autre planète.
C’est fini tout ça aujourd’hui.
Et il y a eu les rentrées scolaires des enfants ; les premières séparations. Encore un bisou, je te fais coucou par la fenêtre. On laisse un enfant en pleurs, on passe la journée à avoir peur pour lui, on va le chercher en courant et on le retrouve hilare, tartiné au feutre et qui vous regarde à peine …
Rentrée après rentrée, enfant après enfant… On croît que ça va durer toujours.
J’avais dit : pas de nostalgie.
Plus tard, ils veulent bien que vous les posiez à l’école en voiture mais… « gare toi plus loin ça craint — Ah bon ? Qu’est-ce qui craint ?
Et puis les enfants deviennent adultes, ont des enfants qui font leur première rentrée scolaire. « Encore un bisou , je te fais coucou par la fenêtre » dit leur maman au tout petit qui pleure . « Demain c’est mamie qui vient te chercher » Et mamie, croyez le ou pas, c’est moi !
C’est dommage que je vous raconte ça aujourd’hui parce qu’hier figurez vous que mon fils a pris l’avion pour s’installer au Brésil ; Qu’est ce qu’ils ont à vouloir partir si loin ? La fille d’une amie, c’est en Nouvelle-Zélande qu’elle est partie !
Il a emmené avec lui bien sur son bébé , ma petite fille, mon trésor.
Comment voulez vous que j’ai le moral ? Qu’est ce que c’est que cette rentrée de merde ?! Comment ça, c’est pas si loin ? Bien sur que si ,c’est loin !
J’avais dit pas de nostalgie, j’avais pas dit pas de désespoir, j’avais pas dit pas de colère !
Ma belle mère a vécu tout ça elle aussi. J’en prends conscience aujourd’hui. Un de ses fils est parti, lui aussi, très loin. Combien de fois a t elle vu sa petite fille ? Je suis sure qu’ on peut les compter sur les doigts d’une main. Son vieux mari ronchon est parti lui aussi, encore plus loin, la laissant toute perdue. Elle l’excuse rétrospectivement : « Il avait beaucoup de qualités tu sais ; on a jamais manqué de rien. — Oui maman c’est vrai », répondent ses enfants qui n’ont rien oublié.
Prendre exemple sur elle ? Oui ce serait bien … Accepter de vieillir… Vous croyez que je vais y arriver ? Oui sûrement. Tout le monde y arrive… Enfin presque, il y en a qui renoncent. Ce n’est pas mon genre, je ne renonce pas facilement.
Pourvu que ça dure.
J’ai crains pour ce second texte (il m’est parvenu après celui de Marine), qui nous parle lui aussi de la famille, des générations, du temps qui passe… que j’avais déclenché bien malgré moi une nostalgie, un blues, chez les participantes… Lulu m’a avoué que non, que « le bourdon allait bien mieux après l’avoir écrit ». On sent toutefois que ce texte, à la sincérité palpable, remue profondément…
La nouvelle nous fait état de nombreuses récurrences de l’existence, se nourrit de ses répétitions (maternités chez l’une, rentrées scolaires et reprises du travail après les vacances chez la narratrice, puis recommencement avec les enfants) et répète avec justesse la détermination de la narratrice (« pas de nostalgie! ») : on s’attend alors que ce texte nous mène à une chute alimentée par ce qui ce qui a été précédemment installé… C’est le cas, mais les 4 derniers mots distillent le doute sur la possibilité de réussite. Or on aurait envie de plus certain dans l’avenir ; le propos est affaibli.
Je m’explique : le texte nous dit en fait face au constat que la vie n’est/n’a été que répétitions (qui en outre se transmettent), que ces répétitions finalement ne furent pas ennuyeuses mais composèrent la beauté de ce qui a été vécu : c’est une belle leçon. Ensuite, le texte nous démontre que la répétition de la détermination (« pas de nostalgie ») maintient le moral et permet de conserver la première idée du bonheur dans la récurrence, cherchant à reboucler sur la belle-mère du début. Hélas le texte ne réunit pas les 2 termes posés (j’espère que je suis clair). Pour que ça soit parfait, à mon sens, il aurait fallut poser :
1 – que la belle-mère a su tirer sa force, sa résilience, etc. dans la répétition. > ce n’est pas dit.
2 – que la vie fut/est répétition, que c’est sa beauté > c’est dit.
3 – qu’il est nécessaire de ne pas faillir du coup à la nostalgie car le passé et les répétitions sont enfuis > c’est dit (et répété).
4 – La narratrice devrait s’inscrire avec certitude du coup dans ce cycle. > ce n’est pas le cas.
Pour que le propos du texte, sa leçon, soient réussis il faudrait à mon avis que la narratrice 1- revienne sur cette vision de la répétition source de vie attribuée initialement à la belle-mère (notion qu’il aurait fallu installer en 2 lignes au début…) 2- constate qu’elle-même en reprenant le flambeau (et la même méthode de volonté) s’inscrit dans un cycle normal, et donc que ce n’est pas « pourvu que ça dure », car dans un monde où depuis les cycles de transmission ne sont plus les mêmes et les êtres sont dispersés, la narratrice étant le point de référence : forcément, ainsi, ça durera. Car tant qu’elle durera, tout pourra se remettre en place, et ceux qui sont partis, peuvent revenir et reviendront. En somme, nous dirait alors le texte c’est la détermination des êtres qui leur fait créer la répétition (attendue, souhaitée, appréciée) de l’existence.
Bref, il y aurait à mon avis le dernier paragraphes à changer, et deux trois réglages à faire au début… Et le titre, triste, peut-être aussi, à revoir. Enfin, c’est juste mon avis, voulant faire de ce texte un texte porteur d’un propos (qui est esquissé) plutôt qu’être une évcation et une introspection… L’auteure, bien sûr est libre de décider du sens qui doit émaner du texte !
(Oups, j’espère que ce que je veux dire est clair…).
Bon… je n’aurais peut être pas du participer à cet atelier. je savais que la période serait difficile et peu propice . C’est vrai qu’écrire ce texte a eu une vertu cathartique et m’ a fait du bien mais nous ne sommes pas dans l’écriture thérapeutique n’est ce pas?Je n’écris pas de texte aussi directement autobiographique d’habitude et ce n’était pas une bonne idée,mais je n’aurais pas pu écrire autre chose.
C’est un texte sur la douleur de la séparation,sur le sentiment de perte et la peur de devoir « jeter l’éponge ».Ce qui n’était pas la consigne!
néanmoins je l’aime bien et n’en changerai pas une ligne…
A bientôt pour plus de légèreté et d’optimisme.
Je me doutais bien Lulu, du contexte de l’écriture de ce texte et je comprends bien qu’il ne faut rien changer. C’est en revanche pour faire mon boulot – c’est-à-dire examiner le texte en tant qu’objet d’écriture indépendemment de la situation dans laquelle il a été rédigé- que je me dois d’essayer de trouver comment on pourrait le retaper et lui donner un aspect qui le fasse sortir de l’écriture de soi pour en faire un objet littéraire plus universel.
Je crois que ce texte peut toucher beaucoup de personnes même en étant autobiographique… Il y a des mamies qui ont la chance d’être présentes physiquement pour leurs petits enfants, avec ce sentiment d’être dans la transmission au quotidien et d’autres qui devront inventer des nouvelles formes de relations pour combler ces fichus kilomètres qui nous séparent.
La photo est magnifique!
Et bien moi j’aime bien ce texte… Peut-être parce que je me suis moi-même fait grande violence pour ne pas partir sur ce thème… Oui, Francis, tu bien failli être submergé par nos émotions de rentrée. Ton texte est beau Lulu et bien sûr tu as eu raison de faire cet atelier…