Proposition d’écriture septembre 2018 – 2

Cette image représente un article expliquant comment rentrer dans son maillot de bain.

Préparant à l’avance ma rentrée qui s’annonçait d’emblée chargée, et rédigeant par prudence mes propositions d’écriture bien en amont, j’expliquais fin août à ma compagne que l’enthousiasme des participant(e)s pour cet atelier d’écriture ne se démentant pas – vues les inscriptions qui se sont illico pressées (me réjouissant… autant qu’elles me mettent la pression), il m’allait falloir « assurer » plus que jamais, et ce, dès le début. C’est-à-dire faire preuve d’imagination pour cette nouvelle année afin de ne décevoir personne (tant que je puisse!) dans ses attentes ; c’est-à-dire trouver des sujets d’écriture originaux : pas de « tartes à la crème », pas de sujets éculés et attendus,  « déjà vus »  – mais au contraire des propositions décalées qui veillent néanmoins à laisser toute créativité à chacun (e) … Mais, je n’avais pas encore d’idée pour l’atelier du 14 septembre…
« Hé bien… puisque c’est la rentrée, tu n’as qu’à faire les marronniers », me dit-elle, par provocation, sachant que je déprimais aussi de devoir par ailleurs bientôt traiter les mêmes cours que chaque année depuis 4 ans, avec la nouvelle promotion d’étudiants qui m’est livrée en pâture.
Les marronniers : en fait l’idée est très bonne.
Mais peut-être faut-il préciser auparavant ce qu’est un marronnier... quand ce n’est pas un arbre.

En jargon de presse un « marronnier » est un sujet récurrent, répétitif, obligé, qui « fleurit » toujours à la même période. Ce sont les sujets qu’il faut traiter selon la loi de proximité : ce qui préoccupe le lecteur à cet instant, c’est de cela qu’il faut parler pour établir du lien avec lui le lecteur cet autocentré, en tentant d’instaurer de la connivence. Il neige ? Ça embête le lecteur ? Alors il faut parler de la neige car c’est l’actu, et des prix des pneux-neige, ou dire comme c’est compliqué d’aller bosser (pour les autres gens) sous la neige, car il est toujours bon de savoir que ça va plus mal ailleurs. Il faut toujours écrire sur des sujets basiques au moment idoine, même si ce sont des sujets traités chaque année.
Ainsi, lorsque je travaillais à Libération il y avait une journaliste des pages « Vous »  qui avait dû dans sa vie traiter 20 fois en septembre le prix des cartables et le coût des fournitures scolaires. Et elle était sans doute lue considérablement plus que le reporter qui risquait de sauter sur les mines en Bosnie. En décembre c’était s’organiser pour les fêtes de fin d’année ou comment faire ses emplettes sans se prendre la foule sur l’escarpin, puis en début d’année, expliquer que ce sont les soldes et qu’il ne reste déjà plus rien à 8h32 hormis du XXXXL. Fin printemps, elle chantait les nouvelles méthodes d’épilation sous les aisselles au kärcher-laser ou les avancées considérables de la recherche sur la compréhension des indices de protection des crèmes solaires

Enfin,… vous voyez l’idée.

Revenons à cet atelier : le marronnier type consisterait à vous proposer d’écrire sur « la rentrée des classes », « l’automne »… les feuilles mortes, la nostalgie de l’enfance et l’odeur de la colle en pot Cléopatra… Ce genre de choses… On aurait d’ailleurs tous et sans aucun doute des choses palpitantes et émouvantes, drôles à coucher sur le papier l’écran.

https://youtu.be/yahunNo4CKc

On va faire différemment (si vous le souhaitez) car ici on va essayer autant que possible de ne pas tomber dans la facilité : on ne va donc pas traiter d’un marronnier collectif spécifiquement, mais toutefois conserver l‘idée de marronnier, de préférence très personnel. A savoir, écrire (sur ce que vous voulez) sur quelque chose qui revient chaque année à vous-même, ou à vos personnages : détestation (sachant que la répétition et la prévisibilité ajoute à l’exapération, sinon à la colère)  ou plaisir de se retrouver dans ses petits chaussons, dans ses pulls mohair, sur la même terrasse de bungalow ou dans la même situation d’apéro avec des amis dans le Lubéron (ou au Grœnland, si c’est votre truc, > mais alors sans glaçon le pastis).
Attention cela étant : il y a risque de cliché. Le cliché (c’est-à-dire la scène, la situation maintes voie vue, lue…) est toujours bienvenu… Ce qui l’est moins, c’est de traiter faiblement un cliché (c’est-à-dire avec des formules et des images toutes faites) car c’est là qu’il prend sa connotation péjorative, sinon son aspect de vieux truc usé et défraîchi, un peu moisi (rance pour les plus graves) comme votre vieux pull en mohair que vous ne voulez toujours pas jeter et que vous avez laissé sécher par mégarde au fond d’une bassine. Donc, si vous me parlez du feu qui craque dans l’âtre, des étincelles qui vienne s’éteindre sur la tomette près des franges du vieux tapis élimé et troué par les brandons (tapis que vous ne parvenez pas plus à virer que votre pull), de l’odeur du bois de chêne et de ce plaisir gourmand du chocolat fumant, le bol chaud qui dégourdit les doigts après une promenade dans la brume tombante d’un dimanche après-midi… attention de ne pas utiliser les mêmes termes que ceux que je viens à l’instant de vous infliger ! Ou alors, il faut en jouer.

Bien sûr ce qui revient n’est pas forcément doucettement nostalgique, feel good ou petit bonheur de jardin secret. Ce qui revient, ça peut être aussi la déclaration fiscale, l’examen médical pénible, la visite d’un cousin insupportable, l’entretien d’évaluation, la fête hebdomadaire du voisin techno hipster du desssus… Le marronnier tire sa force de sa récurrence : s’il est bon car il se répète, il peut-être aussi insupportable pour les mêmes raisons. J’ai connu jadis un quinquagénaire qui avait des relations amour/répulsion avec sa mère, qui ne lui parlait jamais de l’année, mais l’appelait une fois par an, le matin de chaque anniversaire, à 9h pile. Lorsqu’il décrochait le téléphone, elle lui refaisait systématiquement je ne sais plus quelle blague lamentable liée à son prénom et le fait de vieillir. Cela durait depuis plus de 30 ans, et les matins d’anniversaire étaient pour lui éprouvants car il savait que le téléphone allait sonner,  cela le mettait sous tension, un suspens pénible,  il entendait déjà la voix et la plaisanterie nulle, mais il fallait que le rituel exaspérant se produise.

Enfin, pour terminer, je voudrais relever que le marronnier  peut être ni bon ni mauvais, mais d’un genre  neutre, parce qu’il est acteur, ou plutôt médiateur.  La répétition pendulaire d’un même geste, d’un même acte, d’un même fait, d’un même propos, d’une même cérémonie peut avoir une  fonction symbolique, sociale, artistique, etc. très forte qui vise à égaliser les tensions inverses… Le sens qui en jaillit –  la récurrence en faisant un rituel au sens noble- verse là aussi, et même plus que jamais, en littérature .

Je crois que cet atelier n’a encore jamais proposé  de traiter d’un sujet qui se répète.
Mais je vous le promets : c’est la dernière fois.