Charles était un petit garçon tout à fait ordinaire. Son maître à l’école le grondait bien de temps à autre pour un peu d’impertinence ou une leçon mal apprise, mais pas plus qu’un autre élève de sa classe. A la maison, son père docteur recevait ses patients au rez-de-chaussée de la haute demeure familiale, il ne fallait donc absolument pas courir dans les escaliers, crier ou faire de bruit. D’accord, il lui arrivait, là aussi, de se faire tirer l’oreille de temps à autre pour un galop involontaire dans l’escalier ou un vrombissement de moteur échappé du fond de son ventre lorsque, pris dans l’action, il conduisait son avion de chasse le long des couloirs. Mais là encore, il n’était pas, ni grondé, ni puni, davantage qu’un autre. Il faut dire que Charles était fils unique, alors, la plupart du temps il se tenait assis par terre le dos appuyé sur son lit à lire ou à gribouiller bien sagement.
Ce que préférait le garçonnet, c’était les vacances. Normal, vous me direz, tous les enfants aiment les vacances ! Mais lui, il aimait tout particulièrement ces semaines où son père avait lâché sa clientèle et venait les rejoindre sa mère et lui à la campagne. Là, enfin défait des obligations qui faisait habituellement de lui un homme sérieux et inaccessible, l’enfant retrouvait avec bonheur celui qui chaque soir venait lui raconter une histoire à l’heure du coucher. C’était pour lui de ces moments de grâce et d’évasion qu’il n’oublia jamais. L’histoire n’était jamais lue. Elle était inventée et partait chaque fois dans un monde différent. Il avait croisé toutes sortes d’animaux, parfois bizarres. Il avait traversé des mondes féeriques, des jungles perdues, des contrées sauvages. Souvent, l’histoire commençait au début des congés du père et se prolongeait chaque soir en épisode plein de rebondissements.
Il se souvient particulièrement de cette aventure ou le héros, un petit écureuil aux yeux bleus, allez savoir pourquoi, avait accompagné l’été de ses six ans. Ou bien encore, celle où il avait été question d’un escargot qui voulait découvrir le monde et avait malencontreusement croisé la route d’une bande de pirates de l’air. Extraordinaire. Vraiment ! Avec la fin de cette parenthèse remplie de béatitudes, en même temps que le père reprenait sa sacoche et chaussait ses lunettes, la vie reprenait son cours.
Le petit Charles avait donc grandi, coincé entre le monde sérieux, ordinaire voire ennuyeux des adultes et de l’école et celui magique et merveilleusement fantastique de ces intermèdes de quiétude hors du temps.
Charles, adolescent, n’avait pas beaucoup changé. Un peu plus frondeur sans doute. Affirmant un caractère certes fort et indépendant, mais pas plus qu’un autre jeune de son entourage. Il lui arrivait bien d’être un peu plus insolent et il s’évadait, ou plutôt s’égarait, de plus en plus souvent pendant les cours, levant le nez au plafond et laissant son imagination faire le reste au lieu de s’appliquer sur son devoir de maths ou de physiques. On l’aura compris Charles n’était pas matheux et cela se vit d’ailleurs dans ces résultats au bac.
Charles choisit ensuite de poursuivre ses études en droit. Cela ne plaisait pas trop à son père qui pourtant tout au long des années n’avait cessé de lui rabâcher de travailler mieux, d’être plus concentré, de faire davantage d’efforts. Un jour, excédé par ses mauvaises notes en sciences, il s’était emporté et lui avait prédit qu’il n’arriverait à rien s’il n’y mettait pas un peu du sien. Le bon docteur avait fini par ouvrir les yeux, son fils ne serait pas médecin comme lui. Il en était fort dépité et cela avait créé une certaine tension entre les deux hommes qu’il fut bien difficile d’aplanir ensuite.
Charles n’avait pas tenu jusqu’à la licence. Ça ne lui plaisait pas. Il sentait bien que ça n’était pas ce qu’il voulait faire. Parallèlement, il n’avait pas cessé, durant toutes ces années, de griffonner, au lieu d’être attentif en cours. Si bien qu’il finit par admettre que c’était là que se trouvait son intérêt. Il prit sa plume et se lança. Au début, cela ne fût pas facile. Beaucoup de papiers finirent froissés dans la corbeille qui n’en pouvait plus contenir. Il n’abandonna pas. Persévéra. Pris conseils. S’offrit même quelques cours. S’investit corps et âme dans ce nouveau projet. Peu à peu cela pris de l’allure, de l’ampleur, de la consistance. Quelques-uns de ces camarades allèrent même jusqu’à lui dire qu’ils trouvaient cela convenable. Puis, pas mal. Enfin, avec un sourire bienveillant, ils affirmèrent que cela était franchement bon, plus abouti. Il put alors se détendre un peu et cela suffit à une libérer totalement ses instincts. Sa plume s’envola, pris de l’indépendance, devint carrément délirante, époustouflante, mirobolante. Un vent, que dis-je, un ouragan de création passa par là et Charles enfin affranchi fut heureux du résultat. Il se décida donc à prendre contact avec un éditeur. Il en rencontra quelques-uns. Certains, éberlués par son travail, refusèrent tout bonnement de l’éditer. Trop risqué. Franchement farfelu. Trop avant-gardiste. D’autres moins frileux, hésitèrent mais ne donnèrent pas suite le prenant pour un fou, sympathique certes, mais un peu dérangé tout de même. Enfin, il s’en trouva un, plus hardi que les autres qui accepta le challenge. Charles s’y remit d’arrache-pied pour mettre la dernière touche à la toute première de ses aventures extravagantes auxquelles les adultes trop sérieux ne comprennent rien. Il faut dire qu’un certain petit hérisson masqué a vraiment foutu le bazar dans leur vie trop bien rangée et que les enfants, n’en déplaise à leurs excellents parents, aiment, mais alors aiment vraiment, quand ça n’a ni queue ni tête !
Après cela, l’affaire fut réglée sans délai et tout rentra dans l’ordre. Je veux dire, dans le bon ordre des choses, bien sûr ! Le père et le fils se sont réconciliés devant un bon verre et l’un a continué à prescrire de sages ordonnances pour guérir ses patients, en acceptant que l’autre le fasse en publiant des histoires qui font du bien.
En peu de textes et entre les lignes, il me semble deviner les sources d’inspiration, sinon comme en filigrane une sorte de projet littéraire chez Melle47 : une réflexion sur le panthéon familial, de chronique… Mais peut-être me trompé-je, et somme toute cela lui est personnel :-).
Ah ce Charles ! Il nous aura causé bien du souci. Je trouve, si je puis me permettre, qu’il manque un truc dans ce texte pourtant fort bien écrit dans ses détails, sa restitution, ses incarnation et évolution du personnage : un enjeu, une tension, une morale, une leçon… Que sais-je ? Un quelque chose car cela se mène trop linéaire, finit trop bien sans que des éléments somme toute ne s’assemblent, ne donnent cohérence à la fin sans trop de conflit. Et c’est justement ce qui fait de ce texte plutôt une chronique (la narration simple d’un déroulement linéaire) qu’une nouvelle (la construction d’une fiction, d’une dramaturgie). (J’espère être clair…).
Un exemple : si dans ce texte j’avais installé depuis le début l’existence du hérisson, comme ami imaginaire de l’enfant (qui lui aurait dit qu’un jour qu’il le sauverait par exemple), ami qui ne le quittera jamais en grandissant, navrera davantage tout le monde (non seulement il ne fait pas ce qu’on a pensé/prédit pour lui mais en plus il est encore avec son hérisson imaginaire ! -désespérant), ami qui aurait été l’objet de conflits avec le père (qui aurait cristallisé le conflit, la figure du hérisson aurait servi de champ de bataille déporté entre eux)… à la fin du texte le satané animal, en devenant l’objet de la réussite, le symbole et la concrétisation de l’imaginaire de l’enfant et de la destinée qu’il s’est donnée enverrait une (gentille) leçon au père qui ne pourrait qu’affectueusement s’incliner.
Il y aurait même d’autres façon de rajouter de la tension, de faire boucle tant pour solariser la réussite que pour faire davantage briller l’issue optimiste de l’histoire : imaginons que les intérêts du père et ceux du fils se croisent. Par exemple, que le succès littéraire arrive avec une histoire de hérisson médecin, genre… Qu’en pensez-vous?
Tout d’abord… Merci pour la photo. Ce petit Charles est juste parfait 😉
Ensuite, à propos d’inspiration, puisqu’il en a été fortement question dans l’énoncé du sujet et que tu l’abordes dans ton commentaire. Oui, dans chacun de mes textes, même en forme de petit clin d’œil tout petit, il y a toujours quelque chose de moi, je ne résiste pas! Ça fait d’ailleurs sourire ceux qui me lisent et me connaissent! Mais pas que… Ici, il y a aussi un clin d’œil à Claude Ponti et son ami Blaise le poussin masqué. Ses histoires qui « foutent le bazar », je les adore. Il y a aussi un peu de cette pub pour Guy Degrenne d’il y a bien, bien longtemps dans la façon de tourner le texte. Peut-être certains la connaissent!
Après, chronique ou nouvelle… Je suis d’accord, ce texte est une chronique, mais bon, tu n’avais pas dis « nouvelle » ce coup-ci… (Je pinaille!)
Enfin, l’idée du hérisson imaginaire de son enfance qui ne quitterait pas mon petit Charles me plait bien. J’imagine assez le côté franchement désespérant que j’aurai pu glisser dans mon écris… et qui deviendrait un symbole de sa réussite. Oui, j’imagine là encore la bonne leçon au père trop « rigide » (je vous rassure avec l’âge il s’était bien « assoupli »!). Il aurait adoré… Surtout ce que je fais de mon écriture aujourd’hui… ;-). En revanche, l’histoire du médecin hérisson… Je ne sais pas trop. Il aurait trouvé ça très « avant-gardiste », c’est certain. Mais pourquoi pas!
Je suis tombée sous le charme de Charles. Il m’a fait penser à un Pierrot rêveur. J’ai adoré ton histoire 🙂
Ton petit Charles m’a fait penser à Franz, narrateur du roman « Abraham et fils » de Martin Winckler…. Franz, fils rêveur d’Abraham, médecin qui pratique à domicile… Ce roman t’a-t-il inspiré? Ton texte est bien écrit mais j’ai trouvé, comme l’a dit Francis, qu’il manquait un peu de piquant et qu’il était trop linéaire… Tu écris très bien Melle47 ( on se croise souvent en atelier et c’est un plaisir!). Bonne poursuite!