Déceler dans le détail d’un accessoire ce quelque chose, comme une évidence, qui dessine le trait d’une personnalité.
Tout se joua lorsqu’il fit ce 1/4 de tour sur sa chaise, saisit ce truc avec une légèreté et une vitesse surprenante, accompagné d’un soupçon de nonchalance et, le posa sur sa tête.
Sortie de nulle part cette casquette bleue marine, négligemment placée sur ses cheveux poivre et sel lui donnait un look pour le moins inattendu, étonnant. Pour autant, il s’agissait sans doute d’une mise en scène longuement préparée.
Il n’avait rien à envier à ces célébrités sublimées par des prises de vue savamment étudiées, des photos retouchées.
Barbe hirsute, noire et blanche, regard dans le vague, tout y était pour pointer la fin de cette soirée, laisser une image fascinante, figée comme un portrait.
Sa chevelure inégale de part et d’autre s’amusait à former un vague désordre ce qui éclairait son regard marron-vert cerné de lunettes, d’une lueur malicieuse.
Il avait réussi à glisser la malice comme un happy end : elle remplaçait l’éclair de la flamme vive ou encore de la fatigue parfois celui de l’ennui, toutes ces étincelles qui étaient passées dans ses yeux, de l’apéritif au café.
Attifé de cette façon il frôlait la perfection comme si chaque détail était à sa place.
Durant le repas ses mains s’étaient amusées à aller et venir entre son verre tantôt plein, rarement vide, ses couverts, son assiette et l’aspiration de ces bouffées, non pas d’oxygène, mais de nicotine calfeutrées dans sa cigarette électronique .
Son buste, ses bras, le haut de son corps s’animaient au rythme de la dégustation, il orchestrait et donnait au dîner une sorte de mesure à demi-teintée.
Quelquefois les envies pressantes le faisait s’excuser, se lever, révélant une morphologie intéressante, des fesses appétissantes, reluquage précis à cet endroit qui est loin d’être réservé aux hommes.
Lorsqu’il revenait s’assoir ses pas semblaient hésitants, au prise non pas avec un vent décoiffant mais dû à la lassitude d’une fin de journée, aux vapeurs d’alcool, un repas en agréable compagnie et des doutes quant aux suites à donner à cette rencontre car à n’en pas douter les hommes sont incertains.
Il essayait d’équilibrer le tout se servant du mouvement de ses bras comme d’un balancier pour stabiliser sa démarche, gagner en assurance lorsqu’il défilait pour venir se ras-soir.
Il tentait de masquer les effets négatifs d’un passé révolu, chiffonné, tentait d’effacer ces années où les séparations, les changements de vie, de villes, de femmes l’avait déstabilisé .
Il s’efforçait de nager à la surface : les rencontres éphémères dans lesquelles il s’égarait et au travers desquelles il se cherchait aboutissaient à des déceptions qui s’enchaînaient : une tasse qu’il buvait malgré lui ; l’addition devenait salée.
Parfois un voile changeait la physionomie de son regard, quelque grimace ou tic soudain faisait penser à une courbature, contracture entre passé et présent, ce qui déformait un endroit de son faciès .
Toutes ces composantes faisaient de lui un homme avec une assise intéressante, un charme attendrissant malgré les vicissitudes, les coups bas de sa vie, ressemblant à un Charlie Chaplin s’agitant, grimaçant, sans canne mais avec cet accessoire que le monde lui a vu porter: un chapeau, un haut de forme ou ce je ne sais quoi dressé sur sa tête.
Il enseignait à des petits l’art de la découverte : un apprentissage où le temps est encore synonyme de jeu, de couleurs, de coloriage, de mots déformés, de phrases incomplètes.
Passionné de dessin, il aimait esquisser ces moments saisis à la va-vite, son oeil voyait, sa main percevait ce qu’il ressentait et glissait là, sur un bout de papier. Il ébauchait alors un personnage ou un paysage, une situation à laquelle il décelait un sens, une posture, un éclairage que seul son crayon parvenait à former.
Tout, durant cette soirée avait été réuni : de la surprise de la découverte, aux échanges qu’il avait fallu construire en passant par des interrogations loufoques, cocasses, ce partage fut surprenant .
Il avait essayé durant ces quelques heures de donner le change, de sourire, d’esquiver des détails qui le mettaient mal à l’aise, pour à la toute fin oser un dernier geste au risque de se sentir ridicule, au risque que la belle disparaisse.
Ainsi posée, cette casquette lui donnait l’allure parfaite, la sienne, comme si tout était complet: à prendre ou à laisser.
Ce bleu, sa profondeur oscillant entre les couleurs du ciel et de la mer à la nuit tombante me fit vaciller à l’idée d’un nu de «Matisse» .
Une couleur ou un accessoire, tout était défini dans ce rien anodin qui pourtant habille ou dévoile quelqu’un.
PS de Francis : Pour illustrer, j’ai cherché un monsieur proche de celui du texte de Victoria, mais je n’ai pas trouvé. Mais il n’est pas mal non plus, non ? (manque les lunettes, bon). Photo credit: Nicolas Hoizey on Visual hunt / CC BY-NC-SA
Jeudi 17 janvier dernier, sur l’antenne de France Inter, le plutôt sympathique et brillant Olivier Bourdeaut (l’auteur de En attendant Bojangles, qui vient de sortir un nouveau roman qui se déroule dans les marais de Guérande semble-t-il) expliquait que pour écrire il avait besoin de s’ennuyer et d’observer (et c’est pourquoi il déteste les smartphones qui cherchent à capter sans cesse notre attention).
L’observation : pour le coup Victoria nous fait ici une très belle démonstration de ce qu’est l’observation, et ce qu’est écrire l’observation. Mais pas n’importe laquelle : celle féminine de la naissance et de la construction du désir au travers d’infimes détails, au travers de l’élément définitif, au travers de l’interprétation et le décryptage de l’autre.
C’est sans doute un truc que nous autres gros lourds de mecs, plus aisément stimulés par des signes plus grossiers et ostentatoires ne captons pas toujours. Quoique… Une mèche rebelle de cheveux, des bracelets qui tintent, une façon de tenir son verre ou de plisser les yeux… Et cela peut suffire à vous faire basculer une existence. Cela s’appelle, oui, le charme, — et il est donc bleu.
J’aime vraiment beaucoup cette nouvelle, très subtile, délicate, en mode pensif, contemplatif, interprétant et désirant. Ce qui est étonnant c’est que dans cette description de l’homme, en la lisant, on essaie d’imaginer la femme. Qui est-elle ? Comment est-elle ? D’où regarde-t-elle ? Quelle est son histoire ? Ou comment un personnage non décrit apparaît, se construisant devant nous par ce qu’il dit, pense, voit. C’est une belle immersion qui nous est offerte.
Allez, juste un petit détail. Un tout dernier petit réglage et ce sera parfait :-). Une répétition (et peut-être traquer les participes présents en fouillant dans la boîte à adjectifs… mais je chipote). Chapeau pour la casquette (oui, ok, c’est facile, bon, ok, ok).
révélant une morphologie intéressante, des fesses appétissantes, reluquage précis à cet endroit qui est loin d’être réservé aux hommes.
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Toutes ces composantes faisaient de lui un homme avec une assise intéressante, un charme attendrissant malgré les vicissitudes, les coups bas de sa vie
Bonjour Francis.
Je dirai heureusement qu’il existe le chipotage, nul n’est parfait et il y a toujours des choses à corriger.
Je me retrouve dans ce descriptif : l’ennui, observer, laisser agir, écrire, reprendre, parfaire, défaire, refaire.
Et j’étais loin d’imaginer que l’on puisse se poser la question à l’inverse: qui est cette femme ?
Très beau week-end à vous, je reviendrai commenter les textes des autres auteurs car il y a de très belles histoires.
Ton personnage est très bien décrit, tu arrives bien à « planter le décor ».
Je crois que j’aurais aimé qu’il y ait encore plus d’éléments glissés sur sa personnalité, son histoire (des éléments que sa casquette pourrait refléter, que tu pourrais extrapoler). Mais c’est sûrement un avis personnel, le côté croustillant des femmes qui aiment savoir, comme tu l’évoques sur un autre texte 😉
Merci Ariane pour ce retour.
J’ai voulu je pense refléter sa personnalité, pas trop en mettre pour ne pas alourdir le texte ou le faire trop pompeux.
Mais pourquoi pas, l’idée est aussi séduisante, celle d’extrapoler .
Merci pour ton message.
Envie de plus en lisant ton texte, ce porteur de casquette m’intrigue 🙂 et me plaît et m’attire du coup 🙂 une suite peut-être un jour… Merci pour ce moment de lecture très agréable
Merci Marine.
C’est vrai que la casquette bleu marine sur des cheveux poivre & sel, c’est pas fréquent mais ça lui va à la perfection… La casquette est vite posée tout comme le décor et on se laisse entrainer par ta description qui mêle adroitement éléments physiques, impressions de la femme, atmosphère du lieu. C’est bien balancé et justement dosé. C’est tout en finesse entre suggestion, ébauche, situation, postures et interrogations.
Oui Marine, moi aussi je le trouve très attirant… Et oui Francis celui de ta photo n’est pas mal non plus!
Le temps s’étire à n’en plus finir. On a juste envie de rester là, avec lui, le découvrir encore et encore dans d’autres lieux, sous tous ses angles. Il semble tellement charmant, riche de ses failles, de son passé avec un nouvel avenir à construire. On a envie de lui prendre la main et de continuer l’histoire avec lui. L’écriture est fluide, douce. Moment de douceur, moment de bonheur. Merci !!!
Merci pour vos commentaires, je crois que je vais écrire la suite.
J’ai bien aimé ce portrait qui avance par touche impressionniste sur une dominante bleue qui n’en rajoute pas. Pour un peu, je m’ y serais reconnu.
Bonjour Francis.
A mon tour de vous donner mon impression sur ce premier atelier passé en votre compagnie.
Je trouve que les échanges enrichissent, c’est drôle de lire des avis différents et de comprendre que l’on est plus maitre de son texte, que chacun l’interprète, le fait vivre à sa façon.
C’était une belle expérience avec des auteurs à la plume variée.
Maintenant j’ai hâte d’être au mois de mars pour partager d’autres aventures !!!
Merci à vous tous pour vos retours.
Merci Victoria. Je suis en effet très content du déroulement des ateliers, et encore plus de la qualité des textes. J’ai des centaines d’ateliers derrière moi, et je peux vous assurer qu’on n’a pas cette richesse tout le temps. Trop souvent dans la plupart des ateliers, cela va vers de « l’écriture spontanée », des considérations évanescentes, trop personnelles et pas suffisamment tournées vers le souci du lecteur, le sens du texte et la recherche d’effets d’écriture… Là, je trouve que les textes sont exigeants, chacun dans leur genre, domaine, tons, avec une quête (plus ou moins marquée selon les cas, mais elle est là) de sens, d’argument, de symbolique… et c’est un vrai plaisir, et tout se passe avec respect et humilité. Toutefois, j’espère que les commentaires, les échanges, iront vers davantage encore de « prise de tête » en terme d’écriture, de style, de considération de structure, de profondeur des personnages… Et que les participant(e)s n’hésiteront pas à rentrer même davantage dans leurs commentaires dans ce type de considérations purement techniques ou littéraires (mais peut-être est-ce une attente qui n’appartient qu’à moi, car c’est mon truc, ma deuxième couche d’intérêt par rapport à l’écriture, au texte). C’est ce que j’essaie de faire de mon côté -et c’est mon job aussi, il est vrai- en espérant j’espère cela étant ne pas brider la parole en étant d’emblée trop « gourou-à-l’avis-définitif », ce que je ne veux surtout pas être. Que chacun(e) se sente apte et surtout légitime à formuler des critiques, des réflexions de forme…
Il se passe que je prépare mes propositions d’écriture à l’avance (je suis en train de rédiger déjà celles de mars), et je vais essayer de les construire/alterner/varier de façon à ce que nous allions toujours et doucement un peu loin en terme d’écriture, avec peut-être même des difficultés croissantes, des préoccupations que nous n’avions pas forcément au départ dans une approche purement créative ou de loisir (mais je crois que s’est comme le revers au tennis, ou la poterie, ou ce que vous voulez : il y a un même plaisir de loisir créatif à devenir toujours plus virtuose). Cela passera par des propositions d’écriture particulières, pensées du mieux que je puisse en ce sens. Si cela ne vous conviendra pas, il ne faudra me le dire, que je revois mes curseurs.
Sur « Bleu », j’avais peur d’y être allé un peu fort : c’était en vérité difficile, car très large et à prendre selon plein de façon (déjà en « sujet » ou en « objet »). Et j’ai été épaté par les résultats qui m’ont semblé être très bon, chacun dans son registre… car en plus ce qui est épatant c’est qu’il y a des voix, des styles, des tons en propre, et certains pourtant très éloignés les uns des autres dans leur rapport à la fiction ou au texte. Du coup cet atelier, je suis vraiment heureux de l’avoir repris, de pouvoir le développer. C’est très agréable pour moi, c’est une émulation. Et c’est grâce à vous !