La vie est un éternel recommencement… Tant que nous ne prenons pas conscience des choses : « ce qui n’est pas dit n’existe pas » (Lacan), l’inconscient porte parfois, de génération en génération, le lourd poids des secrets et des non-dits… Si la maison se donne en héritage, les secrets de famille également… Devons-nous pour autant rester prisonniers de nous-mêmes et se contenter de subir l’enfer du retour incessant du passé dans nos vies ?
Je m’appelle Louise et le passé est revenu dans ma vie aussi sournoisement que l’eau qui s’infiltre dans le mur, le rendant peu à peu poreux, envahissant chaque pouce jusqu’à faire tomber en lambeaux la peinture qui le recouvre…
Aussi loin que remonte mes souvenirs, j’ai toujours eu une imagination débordante. Ma mère avait l’habitude de me dire que cela finirait par me jouer des tours. Petite, j’avais un ami imaginaire, Hugo. Il était aussi brun que j’étais blonde et aussi sage que j’étais espiègle, si semblable et, à la fois, si différent… Enfant unique, j’avais trouvé en Hugo le partenaire de jeu idéal, le dépositaire de mes secrets, l’épaule sur laquelle j’aimais appuyer ma tête, le seul en mesure de partager mes joies comme mes peines d’enfant.
Quand le monde des adultes paraît si difficile à appréhender, l’imaginaire permet de suppléer à l’angoisse engendrée par l’incompréhension.
Bref, les jours heureux de ma jeunesse semblaient liés aux moments partagés avec mon ami imaginaire. Mais un jour, je m’en souviens encore, je devais avoir à peine 4 ou 5 ans, ma mère est venue me voir. J’étais dans la salle-de-bain, m’appliquant à me nettoyer les dents, lorsqu’elle est entrée. Ma mère m’a toujours impressionnée, ce jour-là encore plus qu’un autre… Il y avait chez elle comme une tristesse latente, une mélancolie qu’elle portait en elle comme les bagnards portaient leurs chaînes, contraints et forcés. A contrario, cette nature dolente pouvait, tel un orage éclatant dans un ciel sans nuages, entrer subitement dans les états émotionnels les plus surprenants, déstabilisant par là même les plus aguerris et les plus avertis à ses coups d’éclats. Elle m’a dit que j’étais trop grande, maintenant, pour avoir encore un ami imaginaire…Qu’il fallait que je l’oublie…Qu’il n’avait jamais existé et qu’elle ne voulait plus jamais que j’en fasse référence et elle est sorti.
20 ans ont passés, je suis maintenant, moi aussi, en voie de donner la vie. Tout cela est bien loin derrière moi, j’ai tourné la page, du moins c’est ce que je me plais à croire. Je me suis éloignée d’elle, de sa toxicité qui m’empoisonnait peu à peu. J’ai cru que le temps et la distance serait la meilleure thérapeutique mais, ironie du sort, c’est mon nouvel état qui me ramène, malgré moi, vers elle, vers ma mère, vers mon passé.
Tout a commencé par une échographie. Nous étions si excités…notre premier enfant…le fruit de notre amour. Lorsque le médecin nous a annoncé que j’attendais des jumeaux, un coup de massue de nous aurait pas mieux assommé ! Comment était-ce possible ? Il n’y avait aucun antécédent, d’un côté comme de l’autre. Je suis jeune, nous n’avons pas eu besoin de recourir à la fécondation in vitro ?! C’est alors que le médecin nous a conseillé d’enquêter auprès de nos proches afin d’enlever tout doute.
Ma mère, cet être que je n’avais jamais réussi à cerner, allait tout d’un coup m’apparaître sous un jour nouveau. A croire qu’elle n’attendait que ça, ce déclencheur, pour se purger, pour extraire du plus profond d‘elle-même ce lourd secret qui l’a rongeait années après années.
Je n’ai jamais eu d’ami imaginaire mais un frère jumeau : Hugo. Il est mort, accidentellement.
Ma vie a été bâtie sur un mensonge, ma mère en a été l’artisan, inconsciemment je l’ai su…je l’ai cru…c’était ma mère, celle en qui j’avais toute confiance. Quel enfant douterait de sa mère ? J’ai cru son mensonge, peut-être était-ce plus facile pour moi aussi ? Peut-être a-t-elle voulu m’épargner la douleur qu’elle a ressentie ? Il est plus facile de faire le deuil d’un ami imaginaire que celui d’un frère, jumeau de surcroît. Elle n’a pas eu la force d’affronter sa disparition et encore moins ses conséquences sur moi. Elle a préféré ce mensonge, qui suis-je pour la juger ? Elle a voulu m’épargner et si je l’ai fui, c’est avant tout parce que je l’a sentait se noyer peu-à-peu m’entraînant malgré moi dans son sillage.
Elle nous a enfermées toutes les deux dans son mensonge et, pour cela, je lui en veux. A travers son aveu, elles nous délivrent et, par là même, obtient sa rédemption.
Un avenir nouveau s’offre à moi, à mes enfants, à ma mère…
Par Séti
C’est une belle histoire de « gémellité ignorée », avec tout ce que ça peut avoir de conséquences compliquées sur la construction du personnage principal, et sur les relations familiales empreintes de mensonge et de non-dits. Tout est là : l’ami imaginaire de l’enfance, qui signe qu’en fait, inconsciemment, elle savait. La découverte du secret au détour de sa propre grossesse. Le ressentiment envers sa mère, puis l’esquisse d’un pardon possible. Le récit se tient, s’enchaîne, se déroule logiquement.
Il me semblerait intéressant de prendre garde cependant à ne pas être trop explicatif/démonstratif. Le réel intérêt de ce texte, c’est de nous raconter l’histoire de Louise. Pas forcément de la « commenter », ou du moins pas si ça alourdit la narration. Ainsi, il me semblerait intéressant de commencer directement le texte par le second paragraphe. Ainsi, on sait d’emblée qui parle, on est d’emblée dans l’histoire, et la référence plus générale à Lacan peut venir ensuite (ou pas). De même, ses réflexions intérieures, après l’aveu de sa mère, mériteraient à mon sens d’être allégées, ou distillées plus progressivement au cours d’évènements concrets de sa vie (au cours d’un échange avec son amoureux ? D’une conversation avec une amie ? A réfléchir). Ces réflexions sont parfaitement cohérentes, mais amenées telles quelles, cela fait étrange, car on se doute que cette analyse ne se fait que petit à petit dans la tête de Louise, une fois que se dissipe le choc de l’annonce.
Dernière chose (qui n’est que du détail) : je pense que des formules comme « c’est alors que » ou « tout a commencé par » sont des traitresses pour l’auteur… ! La plupart du temps, on peut les supprimer, ou reformuler de manière plus légère, afin de ne pas entraver la fluidité du texte.
Merci Gaëlle pour ton commentaire et tes remarques très pertinentes.
Il est vrai que j’ai écrit ce texte un peu comme une étude de cas, déformation professionnelle! 😉
Et puis les 4500 caractères imposés ne sont pas facilement domptables! Au début, on se dit que l’on n’arrivera jamais à atteindre ce chiffre et, à la fin, on se dit plutôt que l’on n’arrivera jamais à ne pas les dépasser 🙂
En tout cas, c’était la 1ère fois que je me lançais à écrire et, malgré beaucoup d’appréhension, je ne regrette pas et suis vraiment heureuse d’avoir participer à cet atelier.
Je prend note de tes remarques et je vais essayer de remanier mon texte. Maintenant que je suis dispensée des 4500 caractères…
A bientôt pour un nouvel avis éclairé.
Je comprends fort bien la déformation professionnelle qui pousse à écrire des études de cas… Très très bien, même! Mais on arrive à s’en détacher, aussi, je te promets 😉
La limite de caractère est une contrainte pénible, je sais. En même temps, il faut bien un cadre pour un atelier, et je trouve que c’est malgré tout un très bon exercice, de s’entraîner à « tenir » sur des longueurs variables. On s’aperçoit souvent, comme tu le dis, que nos impressions premières peuvent être contournées. On peut écrire plus long ou plus court que ce que l’on imaginait. ça relève de la gymnastique, certes, mais ça donne au bout du compte de belles habitudes pour ne jamais considérer d’un texte qu’il est « comme ça et puis c’est tout ». De bonnes habitudes pour le regarder avec des yeux capables de l’imaginer sous différents angles, et mettre toutes les chances de son côté pour que le texte soit à l’arrivée le meilleur possible!
Bon courage pour le remaniement, alors, et n’hésite pas à nous en faire part (ou de certaines parties si le rendu global est vraiment long! 😉 )
Tout pareil que Gaëlle dans le ressenti ! 🙂
Pour moi, le texte commence réellement au 2ème paragraphe, le 1er m’ayant gêné dans ma découverte de ton histoire. Mais cette longue phrase m’a aussi un peu gênée. Ce que j’ai aimé de ton style, c’est par exemple, ce passage:
« 20 ans ont passés, je suis maintenant, moi aussi, en voie de donner la vie. Tout cela est bien loin derrière moi, j’ai tourné la page, du moins c’est ce que je me plais à croire. Je me suis éloignée d’elle, de sa toxicité qui m’empoisonnait peu à peu. J’ai cru que le temps et la distance serait la meilleure thérapeutique mais, ironie du sort, c’est mon nouvel état qui me ramène, malgré moi, vers elle, vers ma mère, vers mon passé. »
Petite suggestion pour le 2ème paragraphe, qui prend en compte le principe des phrases courtes donné au départ:
« Je m’appelle Louise et j’ai 24 ans. Il y a quelques temps, le passé est revenu dans ma vie aussi sournoisement que l’eau qui s’infiltre dans le mur, le rendant poreux jusqu’à faire tomber en lambeaux la peinture qui le recouvre… Aussi loin que remonte mes souvenirs, j’ai toujours eu une imagination débordante. Ma mère me répétait souvent que cela finirait par me jouer des tours.
Petite, j’avais un ami imaginaire. Hugo était aussi brun que j’étais blonde et aussi sage que j’étais espiègle. Si semblable et, à la fois, si différent. Enfant unique, j’avais trouvé en lui un partenaire de jeu idéal. Il était devenu le dépositaire de mes secrets, l’épaule sur laquelle j’aimais appuyer ma tête. Lui seul était en mesure de partager mes joies et mes peines d’enfant. »
Voili, voilou ! 🙂