Sur moi qui ai toujours été passionné par les niveaux de langage et les capacités qu’a l’écrit à effectuer n’importe quelle « suspension d’incrédulité » et à mêler la fiction la plus burlesque à la réalité (lisez mon dernier roman, vous verrez http://tribu-macroqa.francismizio.net) ChatGpt, forcément, exerce une fascination totale. Avant, être capable de générer du texte à la volée sur tout et n’importe quoi, de préférence mieux que les autres, c’était mon boulot. Va-t-il me remplacer ? Bien sûr que non. ChatGpt ou autres générateurs de texte doivent à mon avis être utilisés au plus tôt (ça, on ne m’a pas attendu) mais surtout enseignés de même dans leurs usages, tant dans le cadre des études que pour l’écriture de fiction, domaine où ils permettent un entraînement exceptionnel et s’avèrent être des outils puissants d’appui.
Sachant que :
– 1 — ces générateurs de texte sont stupides. Ce sont de grosses calculettes à probabilités. Ils ne savent pas ce qu’ils racontent ; ils générent du texte, ils recopient des modèles éculés, qu’il convient de bien relire. Ils ne savent pas, mais vous, devriez savoir. Vous avez intérêt en tout cas. Plus vous maîtriserez votre sujet, plus vous vous rendrez compte qu’ils ne sont — pour l’heure du moins — pas prêts de vous remplacer, sachant qu’ils ne sont que de gros outils qui ne servent qu’à accélérer le travail en débroussaillant le plus gros. Pour faire une analogie : un logiciel de speech to text à partir d’un Mp3 d’interview va vous accélérer la saisie, mais vous aurez toujours à repasser derrière, voire réécrire, remettre en forme. ChatGpt, pour la fiction, est identique. Il dégrossit, mais si vous désirez quelque chose de qualité et avez déjà votre idée… il vous faudra reprendre.
– 2 — plus votre propre niveau (de vocabulaire, de culture, de logique, de créativité) est élevé et plus vous en obtiendrez des résultats intéressants et exploitables. En ce sens, ces outils vont accentuer la « fracture numérique » ou une nouvelle couche d’illectronisme. Il est impératif évidemment de savoir s’en servir… mais également que tous aient les clés pour le faire. Là-dessus, rien de neuf : il faut mettre encore et toujours plus le paquet sur l’enseignement et donner les moyens à celui-ci.
– 3 — pour bien se servir de ces outils conversationnels et en tirer des ressources exploitables, il convient d’avoir un niveau d’expression aisé. Cette nécessité se rapproche de ce qui est encore trop peu enseigné et pratiqué : l’expression orale, écrite. Encore une fois : éducation, enseignement, apprentissage critique…
– 4 — Il convient d’avoir une bonne capacité d’analyse et de synthèse, de capacité de réécriture et d’organisation de la pensée. Ce que va vous produire un outil comme ChatGpt peut être à la fois intéressant, et à la fois désordonné. Votre « human touch » est alors indispensable pour faire d’un texte moyen, un bon texte repatouillé… ou mieux encore. Et encore une fois : éducation, enseignement, apprentissage critique.
De la même façon par ailleurs que Google, Wikipédia ou je ne sais quel outil sur Internet vous offre de bons résultats si vous savez correctement chercher, mieux vous saurez exprimer ce que vous voulez, mieux vous obtiendrez de ces outils génératifs des résultats satisfaisants qui vous seront alors plus qu’utiles. Le plus fastidieux dans l’écriture d’un texte, une fiction, un roman, c’est l’écriture elle-même… Ces outils vous faciliteront énormément le côté pue-la-sueur, laborieux, qu’il peut y avoir dans la rédaction. Toutefois, copier-coller ChatGpt texto pourra faire illusion quelque temps, mais bientôt on vous dira que vous écrivez comme ChatGpt : telle l’utilisation de filtres Instagram des débuts… Maintenant ça se voit que vous êtes nul en photographie.
On dit que ChatGpt va tuer les écrivains, que l’IA va remplacer journalistes, auteurs, écrivains… C’est certainement complètement faux. Les faiseurs, les mauvais sans doute vont souffrir, mais je vois au contraire dans ces outils une chance extraordinaire pour nous toutes et tous, si on en a, ou on nous en a donné, les moyens, d’au contraire hausser le niveau… le nôtre. De nous inciter à nous sortir les doigts… du… des poches.
Ci-dessous, je vous détaille comment j’ai réalisé en 1 heure et demie environ le texte de ce type de petite plaquette telle qu’on vous en remet lorsque vous entrez dans une salle de spectacle. Il s’agit de la présentation d’un compositeur, de sa vie, de son œuvre et des éléments de compréhension de l’œuvre à laquelle vous allez assister, voire participer. Il s’agit du flyer remis à l’occasion de la représentation du Doner Kebab Opera du compositeur turc de musique contemporaine et gérant de restaurant de kebab, Abuzer Aydemir. Hormis quelques éléments réels intégrés dans le texte, le compositeur comme l’œuvre sont fictifs.
1 — Une idée précise.
Pour le Doner Kebab Opera j’ai choisi le burlesque comme à mon habitude : joindre des éléments disparates, saugrenus afin de voir si la jonction est toujours possible (elle l’est toujours, mais ce n’est pas facile… Mais le langage permet tout). Il s’agit d’écrire la plaquette de présentation d’une œuvre d’un compositeur de musique contemporaine turc qui allie kebab, politique, considération sur l’anthropocène et football, le tout dans un dispositif scénique farfelu. Je vous passe comment m’est venue cette idée. Il s’agit alors de travailler à partir de quelque chose qui forcément n’existe pas ou n’a pas existé afin que ChatGpt ne vous sorte pas du texte convenu. Je présume avec cette idée que c’est le cas. De toute façon si vous n’avez pas d’idée, ChatGpt n’en aura pas. Déjà, là-dessus, il ne vous remplacera pas, ou alors simplement pour des choses sans intérêt ou mille fois créées : du bullshit industriel.
2 — Le corpus.
J’ai demandé à ChatGpt de me donner un glossaire des termes les plus utilisés en critique ou présentation de musique contemporaine, puis un glossaire des pires clichés usés utilisés par la critique, afin qu’il les garde en mémoire dans notre conversation.
3 — Un scénario ou des éléments de langage
J’ai rédigé une liste d’éléments précis, de bouts de pistes de fiction plus ou moins vagues. J’ai donc après peu de recherches sur Internet relevé des éléments me permettant de tracer grosso modo la biographie du compositeur, la composition et l’argument de l’opéra et de chaque acte, des éléments scéniques. J’ai copié-collé dans ce brief deux paragraphes d’informations de Wikipédia (attention au plagiat : si vous collez du texte et le donnez en ressource à ChatGpt, il peut le restituer dans son texte final tel quel). J’ai donné ces éléments à ChatGpt en le prévenant que nous allions écrire plusieurs textes à partir de ces éléments. Mon apport en éléments rédigés est à ce niveau sur le résultat de 50 % du volume de contenu final… mais c’est du vrac.
4 — Un niveau de langage
Je lui ai demandé d’utiliser un vocabulaire riche, une langue soutenue, cultureuse, élitiste, du moins tant que possible pour lui (il tombe facilement dans la banalité si on ne le stimule pas) puis d’écrire la bio du compositeur et son importance dans le monde de la musique, une recension de l’opéra et des actes… Je lui ai fait faire 2 versions chaque fois de chacun des textes.
5 — Une recomposition. À partir des textes fournis par ChaptGpt (ils peuvent être différents selon le même sujet — il oublie d’une version à l’autre des éléments, il « angle » son texte différemment, se met à inventer des choses venues d’on ne sait où… mais aussi parfois peut ouvrir des pistes auxquelles vous n’auriez pas pensé), j’ai récupéré les passages intéressants, en ai composé d’hybrides à partir d’éléments qu’il a fournis, les ai améliorés au besoin. Bref, j’ai réorganisé, réécrit comme le fait tout secrétaire de rédaction ou auteur. À ce stade du résultat, mon apport total (intervention sur le texte, réécriture, ajouts) est de 80 % du volume de texte. Si on considère le résultat à partir de l’idée initiale et des éléments sur lesquels je l’ai fait travailler, je considère être l’auteur du texte à… 100 %.
Voici le résultat ci-dessous.
(Sinon, je rappelle que je donne des ateliers d’écriture en ligne (http://www.ecrire-en-ligne.net ou en présentiel et intervient, notamment à l’École de Design de Nantes Atlantique pour des questions de storytelling, rédaction, éléments de langage, etc., et suis à l’écoute de vos questions et plus. (Les illustrations ont été générées avec Midjourney V5)
1 — Le Doner Kebab Opera : une pièce majeure dans l’œuvre d’Abuzer Aydemir
En 2017, Abuzer Aydemir a créé une œuvre controversée qui a attiré l’attention internationale : le Doner Kebab Opera. Cette œuvre musicale innovante et unique est un opéra-comique qui raconte l’histoire d’un jeune chef turc qui a créé une nouvelle variété de kebab, appelée « Doner Kebab » agrémentée d’une sauce inhabituelle, la sauce Worcestershire [en référence au compositeur Edward Elgar originaire du Worcestershire auteur en 1898 du premier chant de supporter de football] ; recette qui devient rapidement populaire dans le monde entier.
Le Doner Kebab Opera est une œuvre multidisciplinaire qui combine la musique, des chœurs et les arts visuels. La partition elle-même est complexe et utilise une variété d’instruments traditionnels turcs ainsi que des instruments électroniques, des sons échantillonnés et surtout la participation sonore active demandée au public lors du 3e acte.
Le Doner Kebab Opera a été présenté dans de nombreux festivals de musique contemporaine en Europe et en Asie, attirant l’attention des critiques et du public. L’œuvre a également suscité un débat sur la nature de l’opéra et la manière dont il peut être utilisé pour raconter des histoires contemporaines, tel par exemple Nixon in China de John Adams [1987].
Aydemir est considéré comme l’un des compositeurs les plus innovants de sa génération en Turquie, et son travail est souvent associé à une volonté d’explorer de nouvelles formes de musique et de dépasser les frontières culturelles. En plus du Doner Kebab Opera, Aydemir a également créé de nombreuses autres œuvres, notamment des pièces de musique de chambre, des compositions électroniques et des bandes sonores de films.
Son influence et son impact sur la scène musicale contemporaine continuent d’être reconnus à l’échelle internationale.
2 — Doner Kebab Opera : une expérience artistique, politique, immersive et singulière
L’œuvre en trois actes Doner Kebab Opéra, fruit de l’audace créatrice du compositeur Abuzer Aydemir, est une proposition artistique singulière et immersive qui interroge la biodiversité, les méfaits de l’anthroposphère et l’engouement humain pour le football tout en étant porteuse de messages politiques fortement engagés en écho à la politique turque. Chaque acte explore un thème différent, avec des sonorités et des images qui se succèdent sur scène pour interpeller l’auditoire convié en toute fin à participer collectivement à l’œuvre.
Le premier acte, intitulé « Salade », interpelle sur le respect de la biodiversité, en jouant sur la polysémie de l’expression « raconter des salades ». Il s’agit d’une référence aux discours du gouvernement turc qui ont incité le compositeur à s’exiler. Des fragments de discours politiques et des images de manifestations et de champ de salades sont projetées à 360° pour immerger le public.
Le deuxième acte, « Tomates », évoque les ravages de l’anthroposphère sur notre planète. Le compositeur utilise des sons électroniques pour créer une atmosphère de désolation et d’urgence. Les images projetées sur scène, d’une rare puissance évocatrice [des tomates qui se dégradent en time-lapse], suscitent l’effroi et nous enjoignent à une action immédiate. Il fait également une allusion aux projectiles lancés par la police sur les manifestants à la suite du mouvement protestataire de 2013 en Turquie débuté le 28 mai à Istanbul par un sit-in d’une cinquantaine de riverains du parc Taksim Gezi, auquel se sont associées rapidement des centaines de milliers de manifestants dans 78 des 81 provinces turques. Par leur ampleur, la nature de leurs revendications et les violences policières qui leur ont été opposées, ces manifestations ont été comparées au printemps arabe.
Le troisième acte « Oignon » est intitulé ainsi pour évoquer l’idée de « rehaussement du goût de l’existence », notamment par les événements festifs collectifs et porteurs d’espoir, tel le football, ancienne passion du compositeur.
Les commentaires chantés lors de ce 3e acte par le chœur sont ceux de la retransmission sur la télévision turque de l’édition du 25 août 2000 de la Supercoupe de l’UEFA qui a opposé le Real Madrid au Galatasaray SK dans l’enceinte du Stade Louis-II [Monaco]. Le Galatasaray SK étant alors devenu le seul club turc ayant remporté la Supercoupe de l’UEFA.
3 — Un dispositif particulier et signifiant pour le 3e acte :
Les spectateurs incités à déambuler durant le 3e acte [intitulé « Oignon »] sont invités à porter maillot de football et short à l’effigie du football club, le Galatasaray SK, en étant chaussé de tongs. Les tongs sont pour le compositeur une marque d’hommage aux exilés arrivés précipitamment en France sans la totalité de leur équipement nécessaire. Les claquements de leurs tongs sont encouragés. Ils sont une métaphore à la fois de la marche des exilés et des applaudissements enthousiastes des supporters de football. Ils traduisent la volonté du compositeur d’intégrer de façon acoustique l’existence de la communauté turque comme du public mondial dans le dispositif musical.
À noter qu’à leur arrivée 5 types d’écharpes de supporters sont proposés au choix des spectateurs :
« Sauce blanche » [écharpe blanche],
« Mayonnaise » [écharpe beige],
« Ketchup » [écharpe rouge],
« Samouraï » [écharpe saumon].
« Worcestershire » [écharpe rouge et noir]
4 — Le compositeur Abuzer Aydemir : un exemple de détermination et d’ouverture d’esprit
Abuzer Aydemir est le compositeur du célèbre Doner Kebab Opera, mais il est avant tout connu pour sa contribution majeure à la musique contemporaine turque. Né en 1971 dans un village d’Anatolie, Aydemir a eu une carrière de joueur et d’entraîneur de football turc avant de découvrir sa passion pour la musique et la composition lors d’une rencontre avec un supporter joueur de ukulélé. Il étudie alors la composition à l’Université d’Istanbul et travaille sous la direction de compositeurs renommés tels que Cem Güney, Alper Maral et Onur Türkmen.
En 2003, opposé à la politique de son pays, Aydemir a émigré en France et ouvert son propre restaurant de kebab près de la Cité de la musique à Paris, tout en continuant à se former et s’intéresser à la musique contemporaine. Ses influences musicales incluent les personnalités de Dimitri Chostakovitch, compositeur russe et grand supporter des équipes de football de sa ville natale, Leningrad [actuellement Saint-Pétersbourg], le Dynamo puis le Zenith et qui a même dédié à sa passion un ballet, L’Âge d’or, ainsi qu’à celle d’Edward Elgar, compositeur originaire du Worcestershire [connu pour Pomp and circumstance] et auteur de He banged the leather for goal, considéré comme le tout premier chant de supporter. Abuzer Aydemir a également été influencé par les traditions musicales turques, en particulier les musiques classique et populaire turques.
Abuzer Aydemir est considéré comme l’un des grands compositeurs de musique contemporaine turque qui a ouvert la voie vers une démocratisation de cette musique exigeante en direction de la population préférant habituellement l’arabesk [musique de variété turque métissée où mélodies arabes, musiques d’inspiration religieuse ou soufie et arrangements à l’occidentale s’entremêlent].
Son œuvre emprunte à différents types de musique contemporaine, de l’avant-garde expérimentale à l’improvisation postmoderne à texture spectrale, s’autorisant de tutoyer lors de certains mouvements les préoccupations du genre contemporain dit de « nouvelle simplicité ».
Ayant réussi à concilier sa passion pour la musique contemporaine et la gestion de son restaurant, Abuzer Aydemir est un exemple de détermination et d’ouverture d’esprit. Sa contribution à la musique contemporaine turque a permis d’élargir son public et d’attirer des auditeurs qui n’auraient peut-être jamais été exposés à ce genre de musique auparavant.