Alanguie sur le velouté du canapé de cuir noir, Marie-Rose contemple sans vraiment la voir, sa main gonflée, inerte sur son ventre rebondi. Elle soupire de ressentiment. Elle ne supporte plus ces empâtements insidieux, qui depuis huit mois, gagnent du terrain épidermique. Elle ne peut plus enfiler ses bagues. Elle n’est bien que dans des pantoufles et a dû acheter une paire de baskets d’une pointure au-dessus.
« Vous en voyez le bout », « C’est bientôt fini », « Vous avez fait le plus gros », « On va laisser ce bébé arriver en son temps, sans rien brusquer », « Personne n’est en danger, un peu d’œdème en fin de grossesse est à surveiller, c’est tout » sont les mots de l’obstétricien, qui, partisan du « laissez faire la nature » ne veut rien déclencher. Même si ses confrères plus radicaux auraient choisi d’abréger l’affaire, avec toutes ces boursouflures installées un peu partout, arrondissant les membres et le visage.
Si Moritz n’avait pas plié bagage trois mois plus tôt, il l’aurait, dans un éclat de rire carnassier, surnommée Bouboule ou Madame Joufflue. Et aurait été soulagé de se débarrasser du Myosotis qu’elle n’est jamais parvenue à vraiment imposer à son entourage depuis qu’elle a sept ans.
C’est à l’âge de raison qu’elle s’est mise à détester son prénom après à une aventure pouilleuse, honteuse. Elle en garde encore le souvenir dans sa chair trente ans plus tard. Il s’agissait de perpétrer le massacre de la Saint-Barthélemy des poux et de leurs lentes suite à une invasion plus rapide et tenace que celle d’Attila et ses Huns des steppes d’Asie centrale. La lotion dont sa mère avait enduit ses cheveux, lotion qui sentait l’horreur, l’amande amère et le dégoût s’appelait Marie-Rose.
Les bougres tenaces avaient récidivé. Marie-Rose avait refusé la lotion éponyme à grand renfort de courses poursuites jusque dans l’escalier que sa mère avait dégringolé, se foulant une cheville. Les représailles avaient été barbares. Maintenue par son père transformé pour l’occasion en camisole de force, sa mère, pestant de douleur (la cheville) et de rage (les poux plus la rébellion de sa fille) avait rasé la magnifique chevelure blonde qui rendait jalouses toutes les filles de sa classe. Rasée. Oui, rasée, rasée. Avec la tondeuse de son père. Rasée à ras comme les femmes qui avaient couché avec les « boches » pendant la guerre. Rasée et risée de tous à l’école, surtout les filles. Risée de la paroisse. Risée chez les scouts où elle avait sans doute attrapé ces aptères sans gêne, colonisateurs impénitents des chefs infantiles.
Son aversion pour la couleur rose a commencé à ce moment-là et s’est renforcée dix ans plus tard quand elle a surpris son père devant le Boudoir Rose, haut lieu de débauche, à la façade couleur chair, alors qu’il embrassait à pleine bouche une gourgandine, tout de rose vêtue, un truc en plumes fuchsia autour du cou et bottines à talons aiguilles à l’unisson.
Toujours amorphe sur le sofa, Marie-Rose dite Myosotis et putativement Bouboule ou Madame Joufflue allume maintenant la télévision d’un geste las de télécommande. Elle frissonne dans ce salon vide de toute chaleur où un mur noir dame le pion aux autres d’un « bleu Klein » en hommage au peintre qu’elle révère. Devant une série insipide, elle s’ennuie à mourir. Son homme lui manque. Parti sans laisser d’adresse en janvier dernier. Lui jurant qu’elle n’entendrait plus jamais parler de lui. Injoignable effectivement. Il semble s’être désincarné. Tracer un musicien qui joue dans des formations au rythme des contrats et du bouche-à-oreille, c’est comme chercher une allumette dans un feu de forêt ou un manchot dans une colonie de palmipèdes de l’Antarctique. Où peut-il être ? En Allemagne, son pays d’origine et où elle n’a aucun contact ? Se dire que le père de son enfant ne sera pas là pour l’accouchement la désespère. Elle veut croire à un miracle en imaginant qu’il se matérialisera le jour « J » après avoir pris en secret des nouvelles via la clinique où elle est suivie et en ayant demandé qu’on le prévienne quand ce sera le moment. Il ne peut en être autrement. Il le voulait tant cet enfant. Peut-être même plus qu’elle.
Elle change de position, boutonne son gilet pervenche, ramène un plaid bleu marine sur ses membres, cale sa tête avec un autre coussin, regarde le plafond cobalt. Puis, pensant à ce petit être en elle, qui à présent, a le hoquet, décide de se ressaisir. Bouge-toi ma fille, va faire un tour. Ne reste pas là à ruminer et à te regarder gonfler.
Elle finit par s’extraire et se prépare pour aller marcher dans le Parc des Mille Chênes. Certes, il faut traverser toute la ville, mais même si le trajet en bus dure une heure et demie, il est direct depuis chez elle et avec son gros ventre, elle est sûre d’avoir une place assise. En ce tout début d’après-midi, il n’y aura pas grand monde et peu de chance de croiser des ados qui se prennent pour le personnage de manga Sakura Haruno ou la joueuse de tennis Naomi Osaka avec leurs cheveux teints dans ce rose qu’elle déteste.
Si plus jeune, elle haïssait le rose juste par provocation, pour enquiquiner sa mère, décédée il y a peu — Dieu ait son âme, pauvre femme — elle en a fait peu à peu un trait presque intrinsèque de sa personnalité, un signe distinctif d’adulte comme les coiffures punk Pompadour, le look gothique, le régime végétarien. Elle est celle qui voit rouge à la vue du rose bien que cela ne provoque pas chez elle de peur pathologique. Juste un malaise. Elle aime aussi en rajouter un peu.
« Fais-pas ton intéressante », disait son père avant qu’elle le bannisse à jamais de son champ de vision et de sa vie, lui et sa « pouffe » imitation peu reluisante de Barbara Cartland.
Elle a tellement besoin d’attirer l’attention. Elle veut être au centre. Elle veut qu’on l’aime. Or, cette aversion maniaque pour le rose lui a fait perdre tous ses amis. La mort de sa mère, le mariage de son père avec la Rose bonbon, l’expatriation de son frère au pays de l’or rose ont semé le désert autour d’elle. Sans Moritz à ses côtés maintenant, elle est seule, irrémédiablement seule.
Elle jette un coup d’œil à la chambre bébé qui attend son petit Cérulé ou peut-être Cobalt ou encore Celadon. Elle a refusé de connaître le sexe de l’enfant, mais sait que c’est un garçon. Une mère sent ces choses-là. Ses collègues de travail lui ont dit qu’elle aurait sans doute des problèmes à l’état civil avec ces prénoms qui n’en sont pas. Surtout Cérulé même s’il vient de céruléum, le bleu du ciel. Pour un enfant tombé du ciel. Elle les enquiquine ses collègues qui lui ont conseillé d’opter plutôt pour Cyrille, ça sonne presque comme Cérulé ou alors Adonis. Celadon, Adonis, c’est proche.
Murs pervenche, lit à barreaux lavande, table à langer azuréenne. La valise pour la maternité attend quelques effets avant de se refermer. Émue aux larmes à la vue de ce boudoir bleu comme à chaque fois qu’elle y entre, Marie-Rose attrape son sac, ses clés et le badge magnétique pour le bus, direction les Mille Chênes.
Le parc est calme en ce début d’après-midi. Les arbres dont certains sont centenaires bourgeonnent à qui mieux mieux. Marie-Rose Bouboule marche lentement et se sent prise de vertige. Ça lui arrive souvent. Le médecin se veut rassurant. Les hormones. Encore ces hormones qui provoquent un peu d’hypoglycémie ou une chute de tension artérielle. Elle s’est déjà évanouie à deux reprises depuis qu’elle est enceinte. Elle s’assied sur un banc, renverse la tête en arrière, hume la fraîcheur de l’air au parfum de printemps discret et se repaît des invectives que s’adressent les oiseaux en bâtissant leur nid. Elle caresse son ventre comme le lui a montré la sage-femme à la clinique.
En chuchotant, elle s’adresse à Cérulé, qui, oui, s’appellera comme ça. D’ailleurs elle ira jusqu’à saisir le procureur de la République s’il le faut.
Ce bébé tant désiré. Cette quatrième grossesse totalement sous contrôle. L’inquiétude est pourtant là. La peur bleue que ça dérape. Pourvu qu’il ne se cyanose pas à la naissance et meure. Tombée par hasard sur un reportage à la télé, elle a vite zappé, mais l’image du bébé bleu est restée gravée dans sa mémoire. Un bébé tout bleu, mais mort. Ce serait le comble. Non impossible.
Marie-Rose a maintenant la tête qui tourne. Elle voudrait que Moritz la prenne dans ses bras, lui dise qu’il l’aime, qu’ils n’ont pas traversé toutes ces épreuves depuis des années pour rien. Les fécondations in vitro, les fausses couches, les espoirs, les déceptions, leurs disputes continuelles que cette nouvelle vie qui pousse en elle devait faire cesser. Il l’avait promis.
Elle regarde passer une maman et un landau. Tout rose. Autant la mère que le berceau sur roues. Hideux. Ce rose à l’origine de tout son malheur. Cette manie qu’elle ne veut pas reconnaître comme handicapante. Cette horreur du rose a agi sur Moritz comme un repoussoir. Définitif.
Moritz ! Moritz qui a gâché cette grossesse de compétition. Moritz qui l’a traitée de grande malade, qui lui a balancé à la figure sa rhodophobie, disant qu’elle les avait coupés du monde, que lorsqu’on est phobique, on se soigne. Ça, c’était exagéré. Elle n’a pas peur du rose. Elle déteste, c’est tout. Ça lui rappelle les poux, la tête rasée, l’odeur infecte de la lotion, l’adultère. Le rose. Kitsch. Moche. Ce qui en revanche était assez juste, mais il aurait pu avoir la délicatesse de ne pas le lui rappeler, c’était sa moue de dégoût à elle, quand il lui a proposé le mariage et qu’elle lui a répondu que jamais au grand jamais elle ne s’appellerait Rosenblaum parce que Marie-Rose Rosenblaum, ça tutoyait le ridicule.
Au bord des larmes, elle songe à cette énième et dernière dispute, il y a trois mois. Dans la cuisine où tout a débordé. Moritz, les yeux exorbités, théâtral.
« Et le dénigrement d’Octobre rose, tu refuses tous les ans de porter le ruban ou de soutenir le mouvement. Alors que tu mourras peut-être d’un cancer du sein. Et la Saint-Valentin que tu ne veux jamais fêter. Et les mousses de fruits rouges que j’adore qui n’ont jamais eu droit de cité ici. Même pas au restaurant. Eh bien là, tu vois, ils sont là devant toi ces biscuits roses de Reims dont je raffole. Ces boudoirs uniques. Là tu vois. Trempés dans un bon espresso. Je ne veux plus jamais les manger en cachette. Je fais ma révolution rose et si tu objectes, je m’en vais. Et je ne reviendrai plus. »
Elle a objecté. La goutte de café qui a fait déborder la tasse.
Sur le banc du parc des Mille Chênes, à l’autre bout de la ville, la tête continue son manège. Ça tourne. Elle ouvre son sac à main, s’aperçoit qu’elle n’a rien pour l’hypoglycémie qui déferle à moins que ce soit autre chose. Elle ne se sent pas bien du tout.
Quand elle ouvre les yeux, l’infirmière dont elle peut lire le prénom sur la blouse « Rosita », et qui est en train de régler la perfusion, la gratifie d’un sourire engageant et d’un léger accent latino qui chante les « r ».
« Aye, mi madre, la voilà qui s’est réveillée. Elle nous a fait peur la petite dame. La voilà, tout va bien. »
Marie-Rose ne comprend pas. Les murs blancs, les draps rêches, le goutte-à-goutte, l’appareil qui fait bip.
« Qu’est-ce que je fais là ?
— Vous avez fait un malaise dans le parc. Une dame a appelé les secours. Elle va venir vous voir d’ailleurs, elle était très inquiète. Vous avez perdu beaucoup de sang. Vous êtes très faible. Mais tout va bien maintenant et on a sauvé votre bébé qu’on a mis en couveuse. Je vous l’amène tout de suite, ça va vous faire du bien. »
Quelques minutes plus tard, Rosita revient avec un nourrisson joufflu, tout emmailloté de rose, un serre-tête avec un énorme nœud fuchsia dans des cheveux blonds frisés. Elle se lance dans un discours volubile où elle ne laisse pas d’espace à son interlocutrice qui se sent défaillir à la vue de ce rose qui l’aveugle.
« Regardez comme elle est pleine de vie avec ses bonnes petites joues bien roses. Même avec un mois d’avance. Et tous ces cheveux blonds. Vous ne pouvez pas la renier. C’est bien votre fille. Regardez comme le rose lui va à merveille. On a toujours des vêtements au cas où, ici. Vous allez l’appeler comment ? Et où est le papa ? Ah, il ne faut pas que j’oublie de vous dire que demain, la responsable des démarches administratives va venir vous voir pour la déclaration à l’état civil.
– Inutile, je ne veux pas de cet enfant.
– Comment ça ?
– Je n’en veux pas, faites-en ce que vous voudrez. Prenez-le pour vous si vous en avez envie.
– Aye mi madre. Vous n’allez pas l’abandonner. Vous dites ça parce que vous êtes fatiguée. C’est normal après l’accouchement, la césarienne. On en reparlera quand vous irez mieux.
– Non, ma décision est prise. Vous êtes bouchée ou quoi? Je n’en veux pas !
– Vous n’allez pas accoucher sous X quand même ? Une si jolie petite fille ! Regardez comme elle est belle avec ce joli nœud rose. Tenez, prenez-la dans vos bras, vous allez voir ça va tout changer. »
Marie-Rose sent une colère noire, rouge, verte déferler dans ses entrailles tandis qu’elle repousse cette fille qui n’aura pas de nom, qu’elle déteste déjà avant même de l’avoir touchée. Une fille en plus !
« Non, je ne prendrai pas ce machin rose dans mes bras. Je vous ai dit que je ne voulais pas de cet enfant. Sortez-le de cette chambre.
– Aye, mi madre, vous avez le baby blues. On va laisser passer quelques jours et vous donner des petites pilule bleues. Et après, faites-moi confiance, vous verrez la vie en rose. »
Image rose cauchemar : FM + Midjourney
L’atmosphère lourde est tellement palpable. Un vrai drame. On voudrait reprendre son souffle, mais on n’y arrive pas. On sombre, jusqu’à la lie.
J’aime vraiment, mais je crains qu’il n’y ait aucun espoir, et ça me manque (c’est très personnel et subjectif, j’aime les histoires qui se terminent bien…)
Mais quelle dramaturgie! Merci
Merci Juve. Je comprends ton désir de Happy End, je suis comme ça aussi mais je me dis aussi qu’il faut parfois forcer sa nature car cette histoire sordide est aussi celle de ces femmes qui accouchent sous X pour de multiples raisons, jamais bien roses. Les sages-femmes en ont plein leurs carnets. On peut se dire qu’une fois qu’elle aura pris les pilules bleues, elle reviendra sur sa décision…
Quelle chute ! De l’art d’aborder le rejet maternel sous un angle presque sympathique. Pas facile comme sujet, bravo. Et une belle façon de nous rendre proche d’un personnage hyper névrosée, limite psychopathe, tellement son rejet est violent.
Merci Maïmoun. Drôle d’accouchement que ce texte qui m’est pas venu spontanément et naturellement à l’esprit car j’étais partie sur quelque chose de plus léger.
Prendre le contre-pied de la vie en rose.. L’intrigue est habilement montée, on ressent l’omniprésence du bleu dès le début avec les myositis qui donne le ton. Le style est riche. J’ai beaucoup aimé la phrase: Elle est celle qui voit rouge à la vue du rose, avec l’écho des sons r et v et le jeu sur les couleurs. La personnalité du personnage est très bien créée.
Merci Eleda. Moi aussi je craque pour la phrase qui voit rouge à la vue du rose, qui m’a demandé un peu de jus de cerveau….
Je replace ici le commentaire de Fantomette qui ne connaissat pas le nouveau système de message collectif et l’avait placé au mauvais endroit : « Voici un texte avec un parti pris original, qui se rebelle presque contre la consigne puisqu’il respire, exhale le bleu. De belles trouvailles entre les diverses teintes et appellations du bleu, pour le décor de la maison , pour les prénoms du futur bambin. La fuite du futur père alors qu’il a tant attendu cet enfant, même s’il en assez de sa rhodophobie ne me semble pas complètement convaincante. La fin est un peu exagérée, puisqu’elle rejette cet enfant si désiré parce qu’il est vêtu de rose, mais elle tient sans doute du conte drôlatique ou du théâtre du boulevard, et ça marche. »
Ce que j’adore dans ces ateliers, ce sont les relecteurs qui traquent les failles du texte. Les remarques de Fantômette me font prendre conscience du fait que j’aurais dû ajouter deux ou trois phrases qui auraient clarifié mon propos.
La fuite du père peut s’expliquer de plusieurs façons : il a pris peur ou il a attendu si longtemps quelque chose qui avait peu de chances de se produire, que maintenant que ça arrive, il ne veut plus ou encore il a pris tellement sur lui pendant des années pour gérer la phobie de sa compagne qu’à un moment donné, il n’en peut plus et fait un burn-out des sentiments
Je ne voulais pas de fin exagérée, ni de théâtre de boulevard ou encore de conte drolatique. Je me suis basée sur le témoignage de sages-femmes qui racontent comment, alors que rien ne le laissait présager, des mères rejettent leur enfant, s’aperçoivent qu’elles n’ont pas du tout l’instinct maternel. Dans le cas présent, j’aurai dû insister sur le fait qu’elle rejette cet enfant parce que c’est une fille (ça arrive) et rajouter qu’elle ne se voyait pas élever cet enfant sans la présence de son père, incapable qu’elle est de surmonter le traumatisme de l’abandon du géniteur.
En tout cas merci.
Et merci à Francis de transmettre à Fantômette, car je ne sais pas faire
Eh bien quelle relecture, mea culpa et autoflagellation de l’autrice. Je vais dire quoi moi après ça ? 🙂 (A la lecture de la réponse ci-dessus on sent Artémise en, plein bouillonnement qui à vitesse accélérée complète son puzzle et ajoute des pièces finales ici et là).
Quand on a des remarques, on cherche pourquoi ça cloche. L’idée c’est d’avoir un texte achevé qui réponde aux exigences des lecteurs. Après l’exaltation du premier jet, retravailler un texte est un vrai plaisir. c’est là qu’on cisèle, qu’on ajuste, qu’on en rajoute des fois un peu trop… ainsi va la vie… en rose.
Il y a je trouve un rythme effréné, dense, dans ce texte, à l’atmosphère en effet palpable, comme dit Juve. Sinon je suis d’accord avec les remarques de Fantomette (le départ du père, le bleu majoritaire d’où mon illustration mêlant les deux couleurs avec le rose qui grignote le bleu, j’ai pensé à un « cauchemar en rose »), mais Artémise a déjà répondu à tout. Outre que ça fonctionne bien (le coup de la Marie-Rose, en passant, bien vu), et que ma foi, la chute est bien drôle (la madame va pas nous faire son baby blues, on va lui arranger ça — et l’invasion du rose va continuer), il y a une chose qui est bien, c’est que cette fois, si je puis me permettre, il n’y a pas une légère tendance habituelle à l’abondance de documentation (j’ai appris rhodophobie en passant, merci) qui parfois se ressent un peu dans les nouvelles d’Artémise. Là on est concentré sur un problème et sa suite cohérente et logique. On notera enfin la délicatesse de Rosita qui expédie l’affaire à coup de pilule — il y en effet encore beaucoup de boulot en matière de sensibilisation à la psychologie chez les personnels soignants. C’est délicieusement cruel. Bravo.
Je n’ai pas bien compris la remarque sur le personnel soignant. Je voulais une Rosita comme l’a mentionné Simon, esquissée dans la bienveillance. Je pensais l’avoir campée très latino, c’est à dire qui ne dramatise pas (c’est une émigrée qui en a bavé), qui ne prend pas au sérieux la folle décision d’abandonner ce bébé si mignon, qui pense sincèrement que ça va se régler effectivement à coup de pilule bleue. Et qui me permettait une fin double-face : le lecteur qui avait envie d’une fin heureuse pouvait se dire qu’elle allait se reprendre et tout finirait bien et à celui qui pensait que c’était mort que de toute façon, elle était tellement mal qu’aucune pilule ne pourrait venir à bout de la décision ferme et définitive. J’avais imaginé aussi que Rosita allait la prénommer Rose et que cette enfant abandonnée à la naissance, une fois adulte reproduirait ce schéma générationnel en découvrant que sa grand-mère (Marie-Rose) était en fait une enfant adoptée… (mais là on est dans le roman et j’ai pas le temps).
Sinon, je me suis « gendarmée », flagellée pour limiter la documentation (vous avez failli avoir des trucs sur les accouchements sous X qui est un vrai thème de société en France dont on parle peu mais bon…) j’ai résisté à l’appel des sirènes de l’érudition. En tout cas, merci pour toutes ces observations qui ne peuvent pas faire de mal à une meilleure créativité.
Ah je suis désolé, je ne l’ai pas vue comme ça du tout — mais c’est peut-être moi. J’ai vu carrément l’inverse. J’ai vu Rosita et sa pilule bleue comme « t’inquiète ma belle, on va te régler ça avec un médoc, et ça ne posera plus de problème ». Pour moi, et c’est pourquoi je parlais du personnel soignant à sensibiliser (car en fait c’est un problème plus large, de société, de rapport au médicament, etc.), ce n’est pas ce qu’il faudrait faire : peut-être faire un peu de psychologie, de dialogue, d’accompagnement et pas sauter sur la solution hop un médoc et tout va bien — qui ne résout absolument rien. Ça masque le problème, n’aide pas à le résoudre et quand t’auras plus ton médoc-béquille tu auras/retrouveras toujours ton problème. C’est pourquoi cette fin m’apparaissait, comme Rosita, délicieusement cruelle : j’y ai vu une ironie de ta part. C’est-à-dire que pour moi tu plaçais ton personnage dans une aporie : elle cauchemarde en rose et veut du bleu, mais personne ne l’aide ni la comprend, et on lui file une pilule bleue pour voir en rose comme c’est la solution actuelle — un médoc et tu ne nous embêteras plus cocotte avec tes affres roses et on repousse la solution à plus tard ou à jamais. De mon point de vue Rosita n’est pas douce et bienveillante : elle est blasée et technique. Elle a un problème de bébé blues de plus, c’est courant, et hop, donc sa solution c’est un peu de chimie et ça roule.
Désolée de te décevoir Artémise, mais je ne trouve rien, mais absolument rien à redire à ton texte. Il m’a happée dès le début et j’en ai admiré la fin aussi cruelle qu’inattendue. Le thème est sérieux voire dramatique mais le traitement que tu en fais flirte avec l’humour (noir celui-là) ce qui rajoute une couche supplémentaire (en rose et bleu) au drame qui se joue là.
Bon, rien de nouveau, j’ai toujours aimé les textes que tu produis avec un brio qui ne se dément pas, et ce coup-ci j’ai adoré. Continue à nous surprendre…
Merci Betty pour ton « inconditionnalité » qui fait chaud au cœur. J
J’aime beaucoup la première partie du texte qui déploie les bleus à l’âme de Marie-Rose. Je viens de le relire à voix haute et je ne le trouve ni trop lourd , ni trop pathos, un peu comme un monologue à mi-voix assez doux. Et la fin arrive et trouve, par contraste, toute sa force avec des notes plus claires ( mi madré…).
j’ajoute une note bien plus perso… j’ai l’impression d’avoir croisé Rosita à plusieurs moments sensibles de ma vie, à la maternité, à l’hôpital, à l’Ehpad, nourrie de bon sens, d’une bienveillance naturelle ( aujourd’hui la bienveillance sent souvent la sortie de stage de communication…). Merci donc Artemise d’avoir rendu hommage par ce personnage furtif aux Rosita.
Merci Simon pour cette lecture originale que tu as fait de mon texte et pour ton commentaire qui me touche beaucoup.