Toujours en quête de sujets d’ateliers d’écriture (ben oui, de toute façon c’est un peu ce qui m’occupe ici), j’ai repéré il y a quelque temps la très bonne idée d’un ami écrivain, qui donne lui-même des ateliers et qui a eu l’excellente idée de proposer le thème du parfum à partir du célébrissime et formidable roman de Süskind, Le Parfum, et d’un ouvrage d’une japonaise, Ryoko Sekiguchi, Sentir, que je ne connais pas. Comme piquer les idées des autres, ça pue (mais quand même, quoique le sujet du parfum soit difficile, cela reste une très bonne idée), je me suis dit que j’allais proposer pour ce mois de juin aux senteurs revenues de fleurs et de barbecues cramés, d’aisselles dans les transports par pics de chaleur et de monoï qui redéboule sur les plages (enfin c’est l’idée, car la mode du monoï comme celle du patchouli sont heureusement passées), d’aller plus loin avec le sujet de l’odorat (il faut toujours laisser beaucoup de marge, c’est la politique maison).
L’odorat (je vous fais des révélations, là) : c’est bon, c’est mauvais (si, si, je vous assure). C’est le passé (la mémoire qui revient, fixée par une odeur) le présent (ça schlingue, ça cocotte, ou ça grise ou apaise), ou un futur prometteur ou détestable immédiat ou pérenne. Bref, passé, présent, futur : l’odorat, c’est toute une histoire. C’est le parfum naturel ou non de l’autre, l’odeur des bébés, des cosmétiques, de la cuisine, des fleurs, des animaux (qui eux-mêmes ont un odorat plus ou moins aiguisé), du lieu de travail, de la maison, de l’herbe coupée (qui est un signal de détresse), du cocon danois aux bougies façon hygge avec chocolat ou vin chaud (gløgg), de la terre après la pluie (qui s’appelle petrichor), de la marée, de la station d’épuration. Citons aussi les arômes artificiels, le plastique neuf en spray pour vendeur de bagnoles, la friture de la pause déjeuner, le tabac froid des lendemain de fête, les huiles essentielles, le café et le pain grillé du matin, les sardines grillées de la concierge portugaise (j’ai connu ça dans un immeuble de bureau à Paris), l’encaustique, les odeurs étranges ou étrangères, inquiétantes ou rassurantes… Ou comme chez moi il y a deux mois l’horreur du lisier épandu par un agriculteur en toute illégalité dans les vignes, qui vous poursuit partout dans la maison (l’odeur du lisier, pas l’agriculteur (*).
C’est hélas aussi perdre l’odorat, ou n’en avoir jamais eu. J’ai connu une amie née sans odorat : on n’a pas idée des stratégies que cela implique au quotidien (*)…
Alors parfum, odeurs, arômes, fragrance, effluves, pestilences, bouquets, émanations, exhalaisons, fétidités, fumets, haleine, infections, puanteurs, relents… Vous le sentez, ce sujet ? Ou sniff ?
(*) La mairie n’a pas répondu à mes questions exaspérées. Un orage a mis fin au supplice heureusement trois jours plus tard.
(**) Outre les absences majeures impliquant le goût et donc l’alimentation, voire la sécurité (par exemple, le gaz dans la cuisine), c’était un poids au quotidien. Exemples dont je me souviens parmi des dizaines : elle se faisait renifler par sa sœur pour savoir si elle n’était pas trop parfumée avant un RDV professionnel ou amoureux. Quand, plus tard, mariée, elle a eu un bébé (donc la stratégie parfum avait fonctionné de son côté, malgré toute invitation au restaurant à jamais inefficace 🙂 ), elle repérait tardivement si la couche était pleine… même quand le nourrisson était « passé aux légumes », ce qui envoie pourtant des signaux plus forts, voire parfois du lourd. Elle avait des problèmes pour faire la cuisine (ne sentait donc pas le brûlé). Mieux (ou plutôt, pire) : il y a eu un jour un début d’incendie dans sa cage d’escalier, et l’immeuble devait être évacué. Elle ne sentait pas la fumée. Un voisin qui connaissait son problème a eu le bon réflexe d’aller tambouriner à sa porte.
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