« Vous allez en haut ? » Nous répondions toujours oui à notre grand-mère, la tête tournée vers elle mais nos jambes déjà lancées au bout de la cour de sa ferme, vers le verger. Parce qu’au bout du verger, il y avait la maison de nos cousins et parce que, pour ma sœur et moi, nos cousins c’étaient les personnes qu’on aimait le plus au monde dans nos cœurs d’enfant. Nous passions entre les buissons de mûres, nous traversions le verger sur le minuscule sentier qui se faufilait entre les pruniers. Nous poussions alors la petite barrière en hurlant les prénoms de nos meilleurs compagnons de jeux. Nous embrassions vaguement ma tante et mon oncle en entrant chez eux et nous nous précipitions entre les bras des quatre enfants qui nous attendaient en trépignant.
Ce verger, c’était le passage obligé mais enchanté des joies de notre enfance.
Mais non. Non c’est trop personnel cette histoire. Je ne veux pas l’écrire je veux qu’elle reste dans mes souvenirs. C’est de la faute de l’animatrice de l’atelier d’écriture. Elle nous a donné un thème vendredi soir. Le thème donc c’est « le passage ». Parce qu’elle passe justement le relais à un nouvel animateur le mois prochain. Alors je cherche d’autres idées, surtout qu’on est jeudi soir, soit le dernier moment pour rendre mon texte.
Ca y est je viens de trouver autre chose.
Bastien suivait ses parents en traînant les pieds le long des vieux couloirs poussiéreux et des salles sombres à moitié vides du soi-disant magnifique château du XIIème siècle incroyablement bien conservé et merveilleusement restauré par des passionnés. L’un d’eux justement leur servait de guide. Il était gris et asthmatique, comme le château. Et le petit groupe d’une dizaine de personnes trottinait derrière lui. Ils s’arrêtèrent tous dans une pièce sinistrement éclairée par un faible feu de cheminée et quelques bougies coincées sur des candélabres défraîchis. Le guide se mit à raconter une anecdote probablement passionnante pour ses parents et Bastien rumina alors son ennui et essayant de s’enfoncer dans le mur contre lequel il était appuyé. Il réalisa soudain avec peur et un certain intérêt qu’il s’enfonçait rééllement dans ce mur. Pour y disparaître complètement. Il se retrouva face à un couloir humide. Un passage secret ! Comme dans les films ! Enfin de l’action ! Il le suivit en s’éclairant avec son smartphone. Il l’éteignit lorsqu’il aperçut une vague lueur vers le fond ainsi qu’un filet de voix. Il avança silencieusement et se retrouva dans la pièce d’où il venait de partir mais dans le mur opposé. Pas devant ni derrière le mur mais bien dedans ! Et pourtant, il pouvait clairement voir le groupe, le guide, ses parents et….lui-même de dos. Et ce quelqu’un se tourna vers lui, lui fit un clin d’oeil en souriant et s’en alla avec tout le groupe au signal de départ du guide. Et Bastien resta là, bloqué dans le mur du château du XIIème siècle incroyablement bien conservé et merveilleusement restauré par des passionnés.
Ah oui mais c’est trop court. Non ça ne va pas et c’est un brin moralisateur pour Bastien.
Bon j’ai autre chose sous le coude mais c’est une idée proposée par l’animatrice. Or je voulais trouver une idée toute seule à cause de ma fierté mal placée. Et en plus, gare à la limite des 4500 signes par texte.
Le passage piéton de la rue de Montmoreau soupirait. Il sentait bien qu’il fatiguait un peu et puis il était mal placé. Bientôt il serait effacé et un nouveau passage piéton tout neuf tout joli tout bien peint apparaîtrait bientôt au bout de la rue, plus près du carrefour. La décision avait été prise lors du dernier conseil municipal. Le passage l’avait entendu lorsque le maire et un de ses adjoints l’avaient traversé en le piétinant. Cela lui avait collé le blues quelques heures. Puis sa mélancolie s’était envolée, éparpillée par les pas joyeux et sautillants des enfants de l’école maternelle d’à côté. Ça l’attendrissait toujours quand les petits essayaient de sauter de bande blanche en bande blanche. Le lendemain, il avait été énervé par un gars au costume chic qui lui avait craché un gros chewing gum baveux sur sa cinquième bande en partant de la droite. Il essaya ensuite de se faire le plus rugueux et le plus plat possible pour le petit vieux qui prenait toujours soin de lui marcher dessus avec délicatesse.
Quelques mois plus tard, alors que plus personne ne l’utilisait et que le nouveau l’aveuglait presque par sa blancheur éclatante, une jeune fille qui sortait de son cours de danse décida de lui rendre un dernier hommage, une dernière danse parce qu’elle le traversait souvent quand elle était enfant. Il frémit chaque fois que ses pieds se posèrent sur lui. Il trembla chaque fois qu’ils repartaient lorsqu’elle s’envola au-dessus de lui en tournoyant et il s’effaça définitivement lorsqu’elle repartit en lui tournant le dos après lui avoir envoyé un dernier baiser. A lui, le vieux passage piéton de la rue de Montmoreau.
Ah ben voilà j’ai dépassé les 4500 signes ! Toutes mes excuses à l’animatrice et surtout surtout MERCI !
Par Pily80
Il y a, comme qui dirait, un soupçon de mise en abyme dans le texte de Pily… ! Et au delà du chouette clin d’œil, c’est donc un texte qui met en scène le processus créatif plutôt que son résultat. Qui « incarne » les hésitations, les doutes, les retours en arrières, les idées multiples parmi lesquelles il faudra discerner la bonne, les débuts qui semblent parfaits mais qui au bout de 5 lignes s’avèrent finalement décevants, etc… Il est très attachant, le texte de Pily, parce que sous des dehors, et avec un angle, humoristique, il décrit des situations que tous les écrivants connaissent ou ont connu, avec plus ou moins de facilité à les traverser sereinement… ! C’est finalement, sous les détours d’un texte anecdotique, une petite vignette sur les affres de la création. Et comme c’est traité de manière légère et enjouée, ça donne du pep’s pour s’y remettre et ne pas se noyer dans ces affres. Ouf !
Il me semble, Pily, que tant qu’à prendre l’option de l’auteur qui tente plein de choses, tu aurais pu creuser ce sillon là encore davantage. Raccourcir les débuts d’histoire que tu proposes, pour en proposer davantage dans le texte : des débuts d’histoires de 3 ou 4 lignes pas plus, pour avoir l’espace d’en proposer davantage. Et t’amuser du coup à balayer des univers/styles/genre très différents. Proposer un début d’histoire très science-fiction, un autre de roman noir, un troisième façon Harlequin, etc… Et peut-être juste les faire commenter par l’auteur de manière assez lapidaire (« trop personnel » « ah non, trop cruel »…) avant de basculer sur un autre essai. Tu rajouterais ainsi à ton texte un petit côté « Exercice de style », tu en ferais un genre de « puzzle » littéraire qui pourrait à mon sens être très sympa à lire (et avec un peu de chance, très rigolo à écrire). Et tout en lui gardant son aspect léger, humoristique, tu lui donnerais un peu plus de profondeur en jouant sur davantage de « tableaux » littéraires.
Pily, quand j’ai commencé la lecture, je me suis dis, tiens encore un truc naturaliste, vintage doux, au bout de 3 lignes, je me suis dit que bazar tu faisais quand même ça bigrement bien, et 5 après, j’étais dégoutée que ça ne continue pas. Et après j’ai souris tout le long. En fait, ça fait toujours du bien de te lire
oui j’ai pensé à Queneau aussi tiens, et je me suis bien amusée, tu nous fais tourner en bourrique gentiment, enfin surtout Gaëlle, manière de faire 5 ateliers en 1, ou aucun et de retarder son départ, un petit peu ^^
Pour ma part, je suis restée sur ma faim, j’avais envie d’en savoir plus à chaque fois, d’avoir la suite, vous nous maltraitez, vous en dites trop ou pas assez!
Ce texte m’a beaucoup amusée, Pily80. J’ai été tout de suite transportée dans l’ambiance de tes vacances d’été (parce que pour moi, cela m’évoque mes vacances d’été chez ma grand-mère). Puis retour à la réalité, lorsque tu brises le quatrième mur en parlant de l’exercice auquel nous nous sommes tous plié. Ensuite une histoire horrifique avec une ambiance juste. Et enfin tu exprimes la même frustration que j’ai ressentie en lisant le sujet. L’idée d’un passage piéton conscient est géniale, mais inexploitable, car donnée par l’animatrice elle-même. Toutefois tu as osé l’écrire tout de même et de façon bien poétique.
Super bonne idée Gaëlle ! Et effectivement ça va être assez drôle à écrire. Je vais le tenter avant la fin de l’atelier pour avoir vos retours à tous. En fait j’avais ces trois idées en tête quand j’ai lu le thème et j’ai galéré jusqu’à trouver cette « solution » . Mais c’est plus intéressant de l’exploiter à fond effectivement en créant plein de débuts d’histoires totalement différents. Et pour la première partie « vacances d’été », tout est vrai 😉
On attend de pied ferme ta version 2, pily!