Venger les roux. Marc ne se souvenait plus quand lui était venue cette idée. Mais le soir de cette agression dans le métro Londonien, elle prit une place grandissante dans son esprit. Ce type qui l’avait agressé faisait bien deux fois sa taille, trois fois sa corpulence. Etait-ce utile de rajouter qu’il avait de beaux cheveux bruns épais, qui le rendaient beau, ténébreux, tout ce que Marc n’était pas. Il l’avait bousculé en le traitant de « sale rouquemoute », et il l’avait sommé de dégager parce que « son odeur de roux » l’importunait.
De la même manière que certains supportaient les insultes racistes, ou homophobes, Marc encaissait depuis sa plus tendre enfance celles portant sur la couleur de ses cheveux, ses tâches de rousseur, sa peau laiteuse. Sa famille n’y était pas étrangère, seul roux de sa fratrie, sa mère Caroline s’était beaucoup amusée à le déguiser tantôt en citrouille, tantôt en carotte à chaque Halloween, et ce jusqu’à ses 12 ans.
Marc s’était habitué aux mauvais mots, si bien qu’aujourd’hui, cette nouvelle insulte, sans le mettre en colère, ne faisait que raviver son sentiment d’infériorité. Marc avait du mal à trouver un quelconque réconfort dans la vie qu’il avait construite. Il vivait en colocation avec Gary, geek collectionneur de tous les produits dérivés de Star Wars et autres Star Trek, dans un tout petit appartement de la banlieue de Londres. Son travail d’agent d’entretien ne lui permettait pas de s’offrir mieux.
Non, le réconfort il le trouvait dans son admiration pour une grande figure anglaise : le prince Harry, son mentor, son modèle. Lui aussi était roux, et lui aussi souffrait de vivre dans l’ombre de son père, et de son frère, futurs héritiers de la couronne. Ce soir-là donc, en rentrant dans son petit appartement sombre après une pénible nuit de travail, il s’adressa comme souvent au portrait d’Harry affiché au mur : « Tu sais Harry, si tu me le demandais, je crois bien que je pourrais nous venger…». Mais cette fois, au lieu de rester immobile, le visage du prince se mit en mouvement, sa bouche s’étira en un sourire et Marc entendit « je sais ce que tu vis, toi et moi sommes unis à jamais par notre couleur de cheveux, et je sais que tu vas m’aider à venger les nôtres ». Marc ne sut jamais vraiment si cette voix qu’il avait entendue était réelle ou le fruit de son imagination, toujours est-il qu’il se mit en tête de tuer Charles et William pour qu’Harry puisse avoir accès à la couronne et venger définitivement les roux.
Cette nuit il ne dormit pas, trop excité par son projet. Il devait vite réfléchir à un plan. Il procéda méthodiquement. Qui tuer : d’abord Charles, premier héritier, puis William. Comment : en fabriquant une bombe artisanale. Marc savait qu’il n’aurait pas de mal à trouver un tutoriel sur internet. De quoi avait-il besoin : gants en latex, masques de protections, gaz et autres produits chimiques variés. Il les commanda le soir même. Demain il pourrait commencer à assembler son matériel. Ne resterait plus qu’à trouver le moyen d’atteindre les princes Charles et William.
Les jours suivants, Marc semblait animé d’un nouvel élan. Lui qui paraissait d’habitude si abattu avait retrouvé une certaine joie de vivre. Parce qu’il avait enfin un objectif. Il allait tuer les tyrans, il allait enfin attirer l’attention sur la souffrance qu’il endurait avec ceux qu’il appelle ses frères, il sait que tout le monde verra sa métamorphose, son passage de représentant d’une communauté bafouée, à un terroriste en puissance. Il se sentait nourri d’une nouvelle force mentale, celle que Harry avait su lui insuffler en lui parlant.
Mais Marc n’est pas allé jusqu’au bout de son dessein. Un soir, Gary, en voulant emprunter un disque dur à son colocataire a découvert son journal, là où il couchait toutes ses idées un peu folles. En fouillant un peu il découvrit aussi pas mal de produits chimiques. Gary savait que Marc n’était pas franchement un prix Nobel de sciences, et que la présence de tous ces produits était suspecte. Son attitude euphorique inhabituelle des derniers jours finit par le convaincre de prévenir la police qui arrêta Marc, l’interrogea et le mit en examen. Le lendemain, on pouvait lire dans la rubrique « faits divers » le titre suivant : « Pour venger les roux, il projetait de tuer le prince Charles ».
L’histoire n’a jamais dit si Marc avait fini par accepter sa couleur de cheveux…
Par Ptiteco
Voilà un texte qui part sur une idée assez « décalée » que personnellement j’aime beaucoup: venger les roux. Et comme de vengeance il est question, Ptiteco, tout naturellement, nous fait rapidement « l’historique » des vexations qui amènent aujourd’hui à vouloir se venger, et du héros que l’on se choisit. J’avoue que j’ai trouvé assez savoureux, pour ma part, le petit passage sur les déguisements d’enfance, tout comme le choix du Prince Harry en guise de porte étendard. Ce qui pourrait sembler être du détail confirme en fait le côté décalé du texte, lui donne complètement corps, et ce sont des choix judicieux, je pense. Comme de vengeance il est question, toujours, le héros de Ptiteco est comme « galvanisé » par son idée, et l’auteure nous fait alors faire un détour par un soupçon de folie, de paranormal, ou d’on-ne-soit-trop-quoi, en faisant parler le poster. Là encore, cela nourrit l’option choisie pour le texte, et cela s’avère judicieux. Puis finalement, les projets un peu fous seront tués dans l’œuf par le colocataire, et ne seront jamais menés à bien. C’est un texte qui est mené avec une narration vive, et avec pas mal d’humour pince sans rire, très agréable à lire.
J’ai quand même un grand regret, en ce qui me concerne, Ptiteco, c’est la fin de ton texte. Je trouve que tu nous avais installé un truc vraiment sympa, assez « barré » (dans le bon sens du terme), avec un style enlevé, que tu « tenais » bien (et ça n’est pas si simple de « tenir » un texte décalé comme ça, d’en faire ni trop ni trop peu). Et du coup, j’ai trouvé que ta fin tombait un peu à plat, trop « classique » et trop « gentille » pour ton texte. J’aurais bien aimé que tu me proposes un truc plus extravagant, plus improbable, qui termine ton texte sur la même tonalité que l’ensemble du texte, plutôt que de le faire rentrer dans un espèce de « droit chemin » assez dissonant, finalement (exemple qui me vient là, juste pour illustrer : par exemple, il se fait cramer les cheveux en tentant maladroitement de préparer sa bombe, et après, comme ça, au moins il n’est plus roux… Evidement, tu vas trouver ta propre idée, hein, c’est juste un exemple… !). Bref, à mon sens, ton dernier paragraphe est à repenser, pour reste dans la tonalité du reste du texte, qui est pour le coup vraiment chouette et bien posée.
Marc pète les plombs et ça part alors dans tous les sens. Plus farfelu, pas possible. Moi, ça m’a fait rire. Il faudra que j’essaye aussi un jour de me lâcher comme ça, c’est sympa, ça rend bien… Gaëlle dit, encore plus d’extravagance, je demande à lire moi aussi…
Merci gaelle pour ton commentaire très juste. Je suis tout à fait d’accord avec toi concernant la fin du texte (Je crois que j’avais peur de pas finir dans les temps)
Je vais m’empresser de réécrire tout ça
Bonjour. Je suis d’accord avec Gaëlle : j’ai beaucoup aimé le point de départ (venger les roux), l’intervention du prince Harry…. et moins la fin. J’ai hâte de te relire!
J’ai moi aussi beaucoup aimé le point de départ, l’idée centrale un peu loufoque, mais qui tient debout par ailleurs. Et je me suis dit que décidément, à partir d’une même proposition, on pouvait vraiment partir dans des directions très variées ! Mais j’ai très envie que l’histoire nous dise comment Marc a vécu la suite…
Je le dis souvent, Mistouflonne, mais ça m’émerveille toujours autant et je ne m’en lasse pas: oui, à partir d’une même proposition, on peut assi bien aboutir à des choses voisines qu’à des choses totalement opposées, fond comme forme. C’est sans doute pour ça que les animateurs et les participants d’ateliers continuent: on n’en a jamais vraiment fait le tour 😉
J’ai beaucoup ri en lisant ce texte, original et farfelu !
Et si Gaëlle est à cheval sur les cohérences temporelles (pas ici, mais sur les dates de parution de journal dans la nouvelle de Melle47), moi je le suis concernant les activités des geeks : on est adeptes de Star Wars OU de Star Trek, mais pas des deux, et surtout pas ces deux là ensemble (guerre ouverte entre aficionados de la force et adeptes du salut Klingon en convention… :p ). Un geek qui collectionne dans tous les domaines n’en est plus un. Mais bon, c’est vraiment pour pinailler, car pour le reste, c’est vraiment bien trouvé.
Et, je me trompe sans doute, mais j’ai l’impression que la fin précipitée est peut-être une conséquence de la limitation du nombre de caractères (si c’est ça, dans mes bras !) ? Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment que si tu avais pu, tu serais sans doute partie sur un texte bien plus long !
Mais tu as carrément raison de donner ces précisions, Sécotine. C’est hyper important ce genre de détail, parce que ça peut suffire à « gâcher » la lecture à quelqu’un qui connait ce monde là, et ça serait bien dommage. L’écriture est aussi faite de cohérence, jusque dans les détails. J’embêtais beaucoup mes collégiens fans de fantasy, à l’époque où je faisais des ateliers en collège. Sous prétexte que c’était de la fantasy, certains ne se souciaient pas d’approximations énormes dans leur texte, parce que c’était magique, ou pas comme chez nous, alors ça ira bien même si c’est un peu mal foutu. Et ben non! On peaufine jusque dans les petits détails! C’est hyper important.
Merci pour la précision secotine ! Et oui j ai été un peu prise à la fois par les caractères, à la fois par le temps, à la fois par la peur d’aller trop loin dans le « loufoque »
Hormis le débat de geek ( ou je me prononce pour Star Wars), j’ai également apprécié le sujet et la trame de fond. J’ai par contre été gênée par le fait que notre personnage principal n’est plus du tout présent en fin de récit. À t’il une théorie conspirationniste sur le fait qu’il se soit fait prendre? ( son ami Gary est il un blond envieux?)
Haha pas bête ! Ça pourrait être une piste à explorer… Mais j’ai réfléchi à une autre que je suis en train de rédiger. J’espère vous la poster bien vite !
Un seul mot: Bravo ! Super original et drôle, j’ai adoré !
nouvelle fin:
Mais Marc n’est pas allé jusqu’au bout de son dessein. L’autre soir, comme tous les jeudis il est allé dîner chez sa mère. Pendant qu’elle buvait un verre de mauvais vin, Marc vit le Daily Mirror qui traînait sur la table du salon. Harry en couverture. Mais pas seul. Il était main dans la main avec une espèce de fille brune, jolie en plus. En grosses lettres il y avait marqué « Harry et Meghann, bientôt les fiançailles ? ».
Son sang n’a fait qu’un tour, Marc s’est levé brusquement, faisant tomber le journal par terre, en même temps que les chips molles que sa mère avait servies. Il sortit en claquant la porte, furieux. Comment Harry avait pu lui faire ça ? Comment pouvait-il le narguer ainsi ?? Comment Harry pouvait-il s’afficher ainsi, heureux, avec une femme, insouciant, quand Marc ne pensait qu’à leur vengeance ?
A peine rentré chez lui, Marc retira le poster du mur, et le brûla. Il répétait « qu’il aille au diable, qu’il aille bien se faire foutre avec sa gueule de con ! » Il se sentait encore plus seul, démuni. Il avait perdu la force de se venger.
3 mois plus tard
Marc ferma la page de streaming de son vieux PC. Il avait entendu parler d’Harry Potter depuis pas mal d’années, mais les bouquins c’était pas son truc. En un week-end il avait vu tous les films, et il avait été subjugué par le personnage de Ron, un garçon pas très bien dans sa peau, et roux, comme lui…
Il ouvrit une nouvelle page, Amazon.com et tapa « Poster Ron Weasley » sur le moteur de recherche.
J’adore. Je ris! Bravo ptiteco, c’est nettement plus sympa et « dans le ton » comme fin, je trouve 🙂
Bravo pour cette nouvelle fin qui lui ressemble tellement mieux!
Oui, super… Plus rien de dramatique là dedans. On peut rire franchement jusqu’au bout sans arrière pensée…
Super chouette cette nouvelle fin ! J’ai souri franchement ! Et vive Ron !