Lundi 5h, le réveil sonne, se lever, boire un café.
J’aime être la première arrivée dans les bureaux de la rédaction. Allumer l’ordinateur, rapidement vérifier les mails, me servir un café avant l’arrivée du reste de l’équipe.
Je traite des sujets d’actualité, et suis journaliste d’investigation depuis bientôt sept ans dans un des plus grand quotidien tokyoite. Cela fait maintenant quelques mois que mes articles sont régulièrement publiés dans l’édition du samedi. J’aime cette adrénaline, chaque semaine se renouveler, trouver LE sujet.
La réunion de rédaction a lieu tous les jours à 8h, et c’est lors de celle-ci que se décide quel article paraitra le lendemain. Si le sujet n’est pas assez bon, s’il n’aiguise pas l’intérêt des lecteurs, un autre prendra sa place.
Mardi 5h, le réveil sonne, se lever, boire un café.
Dix messages d’Itsuo ce matin, nous devions nous retrouver hier soir. J’ai quitté le journal à 22H17, je suis rentrée, il me semble ne pas avoir mangé.
Cela fait maintenant trois semaines que nous nous sommes vu, il me manque mais ce travail est une priorité. Je l’appellerai si je prends une pause à midi. C’est compliqué pour lui de comprendre mais si je ne suis pas là, si je ne donne pas le meilleur de moi constamment, un autre me remplacera.
Je lui ai promis de poser des congés fin du mois et que nous irions ensemble à Kamakura. Voir Kamakura au printemps…
Mercredi 5h, le réveil sonne, se lever, boire un café.
Aujourd’hui je dois présenter le premier jet de mon article hebdomadaire. Cela fait maintenant plusieurs semaines que je mène une investigation sur une vaste affaire de passes droits et contrats en sous mains dans le milieu de l’urbanisme. Un nouveau complexe hôtelier doit voir le jour dans le centre de Yanaka, quartier historique de Tokyo où les projets de ce type sont strictement réglementés par le service de l’urbanisme.
Kazuto, le rédacteur en chef, m’informe que sans le témoignage du chargé d’urbanisme ou de tout autre employé pouvant attester de la véracité de mon papier, l’article ne sera pas publié samedi. Je dois absolument obtenir une entrevue au plus tôt.
Jeudi 5h, le réveil sonne, se lever, boire un café.
Dire qu’Itsuo ne compte pas pour moi serait simpliste et totalement faux. Mes yeux gonflés de larmes en attestent ce matin.
Itsuo m’attendait à la sortie des bureaux hier soir, me demandant de l’accompagner. J’avais de mon côté à finaliser la préparation de mon interview prévue cet après-midi, déterminante pour assurer la publication de l’article samedi. Il n’a pas compris, m’a demandé de choisir, de lui prouver. Je suis rentrée seule, et après avoir éteint mon ordinateur, me suis endormie pour une nuit sans rêve.
Si j’arrive à obtenir des informations pertinentes auprès du chargé d’urbanisme aujourd’hui je suis certaine d’être publiée samedi.
Vendredi 5h, le réveil sonne, se lever, boire un café.
Ce papier est une réussite, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit mais le jeu en vaut la chandelle. Kazuto me demande quelques modifications mais a déjà validé et me réserve l’édition du week-end. Il est impératif que je confirme certaines sources et que je revoie mon corps de texte avant 23h.
Fin de journée, l’article sera dans les kiosques demain matin. Itsuo ne répond pas à mes appels. Je suis exténuée mais doit être au bureau demain première heure pour décider du nouveau sujet d’investigation. Demain sera trop tôt.
Samedi 6h, le réveil sonne, le réveil sonne, le réveil sonne…
Inspiré du fait divers titré ; « Japon : une journaliste meurt après 159 heures sup’ en un mois »
Par Zu
Voici donc le texte qui « résonne » avec celui de Mélanie, pour ce qui est du fait divers choisi. Pour autant, le traitement en est assez différent. Ici, il n’y a qu’un seul personnage qui parle, les autres ne sont introduits dans la narration que par son prisme à elle. C’est donc cette fois à l’enfermement de cette femme, aux mécanismes qui poussent doucement mais sûrement à cette extrémité, que s’attache Zu. Il est moins question ici d’absurdité du monde au sens « global » (même si le lecteur peut à loisir faire les liens qu’il veut), que de disséquer le fonctionnement personnel, le glissement progressif qui mène à l’extrémité fatale. Zu nous entraîne au plus près de son héroïne, dans sa tête, dans sa logique. Les arguments s’empilent et plus ils s’empilent moins on entrevoit de porte de sortie. On est pris dans ce double mouvement : on « glisse » avec elle, tout en ayant envie de lui hurler « stop ! ». L’utilisation récurrente de la même phrase, qui revient tout au long du texte, donnant un côté lancinant, me semble tout à fait judicieuse : elle est à la fois « rassurante », car elle est toujours-là, et inquiétante, car elle banalise l’anormal (5h tous les matins, vraiment ?). Au global, cela donne un texte à la narration plutôt équilibrée, et fluide, je trouve.
Je pense, Zu, que tu pourrais essayer de modifier un peu ta narration au fil du texte, au fur et à mesure que ton héroïne file de plus en plus un mauvais coton… L’accélérer, la rendre plus nerveuse, voire plus décousue. Faire des phrases de plus en plus courtes, de moins en moins descriptives, au fur et à mesure que les choses lui échappent. Prenons l’exemple de ta phrases « litanie » : On pourrait imaginer qu’à la fin, ce soit juste : Vendredi. 5h. Réveil. Café. Que ça devienne plus nerveux, peut-être même presqu’un peu déconstruit sur la fin, pour laisser transparaître son épuisement, que les choses sont en train de lui échapper. Ainsi, on passerait d’une narration calme, posée, argumentée, très cohérente pour une femme japonaise, à quelque chose qui se désagrégerait au fil de ton texte, pour nous faire comprendre qu’elle même s’écroule. Ainsi, ta fin serait mieux préparée, même si elle resterait un « couperet » final.
Par ailleurs, je pense que ça serait intéressant que la petite précision que tu nous donnes en fin de texte, tu trouves un moyen de l’insérer réellement dans ta narration (que ça soit un communiqué de presse du journal à la fin, ou quelque chose comme ça…). Que ça fasse réellement « partie » de ton histoire.
(présentation de Zu)
Je suis une femme belge, en France depuis 16 ans, en couple, psychologue et maman…
J’adore les histoires, c’est ce qui m’amène ici.
Je suis d’accord avec Gaëlle sur la « nervosité » à apporter en fin de texte et que la conclusion soit justement la précision que tu apportes sur le fait divers. Je remarque que nous sommes plusieurs à avoir choisi d’avoir une phrase qui revient, comme une litanie… Je ne sais pas pourquoi : le sujet? une tendance???
Je ne reviens pas sur les propos des autres, je suis assez d’accord avec eux sur les modifications à porter sur la fin du texte.
Moi, ce que j’ai aimé, c’est l’ambiance. C’est japonais. Ca marche ou ça casse et ton texte fonctionne pareil. Pas trop de sentiments, juste ce qu’il faut pour comprendre, c’est factuel. Ca colle au sujet, ca colle au Japon.
Comme Melle47, j’ai apprécié le style minimaliste et en même temps précis et presque poétique parfois, qui colle tellement avec l’esprit japonais (ou du moins la représentation que l’on s’en fait). On est vraiment dans la tête de cette employée, et j’ai senti l’étau se resserrer au fur et à mesure de ma lecture, option poils qui se dressent et sentiment de malaise croissant…
Le fait que tout soit toujours au même niveau dans l’écrit, sans nervosité croissante, ajoute justement au malaise : on assiste horrifié au parcours de cette femme, qui fonce droit dans le mur sans jamais dévier, sans rien changer, comme si elle était aveugle à l’enfer dans lequel elle se précipite, d’où l’issue fatale qu’elle n’a pas su percevoir peut-être.
C’est vrai que c’est une autre vision, mais intéressante aussi, maintenir cette « constance » jusqu’à la fin, en se disant que si elle s’était justement déconstruite, cette femme, elle aurait peut-être réagi… Et que c’est sans doute le fait d’être restée droite, de ne pas avoir cillé, qui a causé sa perte. Finalement, ça me plaît bien aussi comme point de vue! (vivent les échanges en atelier!)
J’ai trouvé que l’atmosphère de ce texte était très particulière. Très japonaise comme dit Melle 47, et l’immersion était plutôt bien rendue selon moi. Sans parler de toutes les images connues et présentées habituellement, mais en quelques mots, en quelques évocations de lieux, je me suis retrouvée dans le quotidien effréné de cette journaliste. Là encore, c’est très enrichissant de voir comment chacun a traité la proposition. Cette fois, l’héroïne, bien que journaliste, ne raconte pas un fait divers. Elle est elle-même l’objet de cette terrible histoire, et c’est intéressant (même si cette affaire que j’ai croisée dans l’actualité m’a glacée) !
Je prends bien note de tous ces précieux conseils et réfléchis à la façon d’intégrer la chute à mon corps de texte.
En effet, comme évoqué plus haut, la constance dans l’état psychologique de la jeune femme était volontaire. J’avais dans l’idée que cette jeune femme s’est en quelque sorte dupée elle-même en ne percevant pas son épuisement.
J’essaye de poster rapidement la chute!
J’ai adoré ton texte, je ne m’attendais pas du tout à la chute (que j’ai pourtant lue récemment dans les journaux)
Tout le long de ton texte on est vraiment plongés dans la fatigue, le mal être de ton héroïne.
Bravo pour ton écriture très juste