Texte de Melle47 – « Promenade du matin… » *

Sophie, assise sur le petit tabouret de l’entrée, essaye tant bien que mal de nouer les lacets de ses chaussures de marche.
« Mais… Tu vas arrêter ? Ouiiii… Je sais, je sais… Pas de matin qui commence bien, sans promenade de chien… C’est bon, on y va… On y va. »
Faut dire qu’elle le cherche bien, le petit chien Fou’. Comme chaque matin, il lui fait de grands bons, donne des coups de culs, comme un cheval excité. Il colle son museau dans ses doigts et s’agite dans tous les sens pour exprimer son impatience et sa joie.
Les chaussures, l’écharpe, le manteau, accrocher au cou du Zébulon le collier jaune fluo muni d’un de ces gros grelots dont on affuble les chiens de chasse et hop, dans un claquement de porte, les voilà dehors.
Sophie regarde le ciel, fronce le nez. Va pas falloir trainer. Le soleil a été le plus fort ce matin, ses rayons d’automne frappent les nuages gris plomb. Mais là-bas, il pleut déjà et l’air est chargé d’humidité. Sophie sourit devant l’arc en ciel qui se dessine au-dessus des cheminées d’où s’échappent les premières odeurs des feux de bois. L’hiver approche.
« En voilà un bien joli présage. La journée s’annonce prometteuse. Allons-y, mon chien. »
Elle contourne la maison, ouvre le portillon au fond du jardin. Jette un œil à droite, à gauche et finit par siffler le chien qui a surement disparu sous la haie. Les voilà partis, tous les deux, pour leur balade quotidienne dans les bois.
Sophie resserre son écharpe, c’est que sous les arbres, l’air est toujours plus frais. Elle se dit que bientôt, il faudra ressortir du placard son joli bonnet rouge à pompon poils de lapin. Pense même que ça serait même plutôt chouette de ne pas passer inaperçue.
Pan, pan, pan…
Pas d’économie pour ces fusils de chasse à trois coups. Sophie ne sursaute même plus. Elle avise Foufou, qui truffe au sol avance d’un bon pas sur le sentier.
« Franchement, lui lance t’elle, je ne sais pas ce qui me dérange le plus. Les moustiques au printemps ou les chasseurs en automne ». Le corniaud stoppe au son de sa voix, se retourne, lui prête attention un instant et n’entendant pas d’ordre clair, repart de plus belle.
Elle enfonce les mains dans ses poches, apprécie le paysage. Les bois ont pris des teintes colorées ou se mélangent toutes les nuances de verts, de bois, de marron et de jaunes. En cette saison où tout se prépare à sombrer dans le sommeil, elle aime ce mélange de fragilité, cette saison ou tout bascule. Ça craque sous les pas. Les branches mortes ou s’accrochent de longs filaments de lichens vert tendre se brisent. Les feuilles humides s’amoncellent en couches épaisses, se mélangent à une terre lourde d’aiguilles de pins et de glands en décomposition, donnant ainsi l’impression d’avancer sur un sol confortable. Les fougères, vertes et fières hier, piquent chaque jour davantage du nez vers le sol, se couvrent de rouille. Elles viennent caresser les champignons colorés qui complètent ce tapis d’humus et de mousses lumineuses. Sophie respire profondément et quitte le chemin des yeux. Sur le sentier étroit, elle évite de justesse la branche d’un houx agressif, vert sombre ou pullulent de petites baies rouges et brillantes. Plus loin, un arbousier exhibe de jolis fruits murs qui cohabitent avec de petites clochettes blanches encore pleines de la rosée du matin. Plus haut, dans les cimes des grands chênes que côtoient les pins, le soleil se fraye un chemin et perce la forêt à l’oblique en un halo doux plein de particules brumeuses.
Pan, pan, pan…
Le chien Fou’ l’a rejointe et tourne autour de Sophie, faisant tinter son grelot qui semble être d’accord avec les cris des oiseaux qui s’égayent effrayés par les tirs.
Pan, pan, pan…
« Par ici, Fou’… Là-bas ça tiraille. Vient, on va passer par ici. »
Sophie hume l’air qui frissonne autour d’elle et entonne : « Ce matin, un lapin a tué un chasseur…. »
Si seulement… Elle sourit à l’idée. Pourtant, il n’y a pas de quoi. Aux infos ce matin, ils ont dit qu’un homme qui circulait tranquillement en voiture sur une départementale avait pris un coup de fusil et qu’il en était mort. La semaine passée, c’était un jeune de 29 ans qui avait reçu un plomb perdu. Déjà deux victimes, et la saison ne fait que commencer. Elle se lamente, puis pouffe tout à coup, à l’évocation de la réplique de cet homme politique qui veut interdire la chasse les week-ends et les vacances scolaires. Elle a beau ne pas aimer les chasseurs, tout de même, il y va un peu fort. Elle imagine le chasseur demander à son patron un jour de congés en semaine pour aller tirer quelques coups au fond d’un bois.
Foufou déboule à grand renfort de bruit, la dépasse sur le sentier étroit et file à la poursuite d’une piste.
« Hey, fait gaffe, bolide ». Elle se marre… « T’as raison, mon chien », et de reprendre sur un autre air… « Promenons-nous dans les bois, tant qu’les chasseurs n’y sont pas. Car s’ils y étaient, ils nous mangeraient… »
Sophie chantonne, respire, fait le plein d’une belle énergie. Elle avance lentement, évite les racines comme autant de pièges tendus aux non-initiés, admire une toile d’araignée parfaitement tissée, savoure la balade, surveillant le chien Fou’ du coin de l’œil. Elle avise soudain un truc bizarre au milieu des fougères. Si au printemps elle a le nez plutôt collé au sol sur les parterres de trèfles, le long des chemins dégagés, à cette saison, elle est plutôt intéressée par les cèpes. Non pas qu’elle les cherche vraiment, elle n’est pas très douée pour ce sport, bien trop distraite pour ça. Mais là, ce pourrait-il que? Elle lève le pied, sort du sentier, se fraye un chemin dans la végétation plus dense, siffle pour prévenir Foufou qu’elle prend la tangente et se penche sur ledit champignon avec un large sourire. Elle le ramasse délicatement, plonge son nez dedans, ferme les yeux et pense déjà à l’odeur qui s’échappera sous peu de la poêle chaude.
« Foufou…  Cet arc en ciel ce matin, était décidément un excellent présage. Regarde ce que j’ai trouvé. » Elle caresse la bête, lui fait un clin d’œil et se relève.
Pan, pan, pan…
Cette fois, elle sursaute le souffle coupé, tombe à la renverse dans l’épais tapis de feuilles. Sophie regarde le ciel, sent la truffe humide du chien Fou’ sur sa joue.
« Jamais deux sans trois » lui souffle t’elle avant de fermer les yeux.


PS : Si certains textes sont thérapeutiques, celui-là, c’est pour conjurer le mauvais sort.

Photo : cc- Unsplash. 

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Superbes descriptions d’automne servies par une très belle écriture. C’est léger, plein de bonne humeur. La chute, aïe, terrible !

Tu n’imagines pas ce que ce texte a pu faire écho chez moi. Tous les matins je sors mes chiens, et tous les WE, et parfois en semaine, il y a des chasseurs sur le chemin qui mène chez moi. Et le pire, c’est que je n’ai pas peur d’eux, je les engueule ou je les bêche selon mon humeur du moment. Bref, je me suis retrouvée dans ton histoire, fort bien écrite, pleine de jolies descriptions d’un automne qui ressemble beaucoup à ce que j’ai sous les yeux.
Bon, sale fin, mais on pouvait s’y attendre. Ce matin pas de coups de fusil, peut-être que moi je vais en réchapper…

Je suis locataire d’une maison au milieu de champs de vigne… et donc tous les dimanches ces imbéciles de chasseurs viennent se garer près de chez moi, dans le chemin, et déambulent même devant ma maison avec le fusil, pas toujours cassé et leurs crétins de chiens, voire derrière la maison dans les vignes, à 20 mètres à peine. Et ça tire en tous sens. L’un d’entre eux, voisin dans un bois, élève des perdrix qu’il lâche et après ils sont dans le coin en train de les descendre. A 11h ils sont en train de picoler leur bière sur le capot de leurs bagnoles à 30 m. de ma baraque. Mille fois j’ai eu envie de leur dire qu’ils me gonflent… mais voilà : le propriétaire de ma maison pourtant sympa est le meilleur ami du président de la société de chasse. Je sais que si je l’ouvre, ils vont m’envoyer paître et je ne peux pas leur interdire le passage car je ne suis pas chez moi. Et il y a bien une trentaine d’années en Seine et Marne où j’habitais, je passais en voiture sur une départementale, et j’ai vu un chasseur tirer dans ma direction. La trouille totale. Il était à bien deux ou trois cent mètres, mais tout de même. J’y ai repensé lorsqu’un automobiliste a été tué sur la route de Rennes il n’y a pas longtemps (Melle47 en parle d’ailleurs). Je les hais.
Sinon pour parler du texte de Melle47 — toujours ce talent du détail et des descriptions, bravo : on en sent presque l’humus :-). Apports de l’actualité juste dits sans être appuyés (cela suffit pour le message, et hélas ce texte ne se périmera pas je le crains) et opposition entre les joies de se balader dans la nature et cette soudaine Dormeuse du val dans les feuilles mortes : c’est très efficace avec économie de moyens. C’est même très réussi parce qu’on pourrait voir arriver la fin servant le propos esquissé et préalablement installé, mais ce n’est pas le cas. Dans le mille 🙂

Décapant. Tu nous as bien préparés au pire mais on refuse d’y croire tout le long (à cause de l’arc-en-ciel) question description, c’est parfait et tous les sens sont convoqués (vue, ouïe, odorat, goût et toucher). C’est très fort. Il y a aussi par chez moi (maison de famille du Sud-Ouest) une palombière avec des chasseurs. Je partage vos appréhensions quand j’y passe des vacances en période de chasse.

Nulle n’est prophète en son foyer !

je t’ai laissé muette, visiblement 🙂

Merci. Ça m’a agacé cette affaire. Désolé de vous harceler.