Trêves des confiseurs
Et voilà, comme chaque année après la Saint-Nicolas, le même cortège de simagrées recommençait.
D’abord, il y avait la grand-tante, doyenne du clan, qui du haut de ses 99 printemps, ou hivers suivant son humeur, comptait bien mener son petit monde à la baguette, comme à son habitude. Aux milles bornes, elle avait pêché la botte de l’increvable et nous laissait en général tous au tapis.
En chef d’orchestre aguerrie, elle s’appropriait le temps de chacun et nous entraînait tous dans sa sempiternelle vision d’Épinal du réveillon de noël: messe, marche au flambeaux et dinde farcie compris.
Un all inclusive moyenâgeux que la jeune génération avait de plus en plus de mal à supporter et de moins en moins de difficultés à envoyer paître.
Pour mon malheur, j’étais de la génération du milieu: encore bien ancrée dans les traditions mais un pied déjà – un pied seulement – dans le monde de la liberté. Je n’avais donc gagné en fait de liberté que la frustration de ne jamais savoir dire non.
Chaque année j’appréhendais cette période avec l’angoisse d’une débutante.
Comment faire passer en douceur l’abandon de cette jeunesse dorée, sans cœur et sans éducation depuis que les parents avaient baissé les bras. L’avenir de la famille préférait faire la fête loin des momies (dixit ma petite nièce Sophie) et «s’éclater» sans les vieux (les mêmes parents démissionnaires bien sûr) …. il faut bien les comprendre.
D’ailleurs, Mamie, Papy, oncles et tantes, ne vous cassez pas la tête pour les cadeaux, une enveloppe généreuse fera l’affaire. Oui, comment expliquer ça en douceur à l’arrière-garde, toujours fringante et aux jugements toujours aussi incisifs!
Mais ce n’est pas tout, comment amener à la même table la cousine Jeanne, petite provinciale rose et joufflue, et la cousine Béatrice, pure produit de la capitale, véritable cheval de course, chacune haïssant l’autre avec mesure et politesse durant toute l’année, sauf lorsqu’il était question des décorations de noël. Là tous les coups étaient permis.
A moi, arbitre, de ramener la paix sur ce champ de bataille. Je tenais donc mes comptes soigneusement, et donnais la victoire alternativement à l’une et à l’autre.
Comment persuader aussi le grand-père, le cœur sur la main mais les cordons de la bourses bien serrés, que s’il n’était pas encore le doyen (un peu de patience voyons), il n’en était pas moins le chef de meute dont chacun attendait sagesse et conseils dans le respect dû à son âge et à son rang.
Chaque année les choses se compliquaient un peu avec cette manie moderne des familles recomposées, des pièces rapportées et d’autres échangées. J’en perdais le compte et les prénoms.
Mon mari, doux et poète, observait cette danse de loin, avec un sourire confiant. Une petite tape en douceur sur les fesses et il m’encourageait en m’affirmant que, comme chaque année, tout serait absolument parfait ! Et toujours bienveillant se penchait à nouveau sur ses haïkus.
Mais tout ça, c’était sans compter avec mes hormones. Car sachez-le, la ménopause est une adolescence tardive aux éclats tout aussi dévastateurs.
Je n’ai rien dit, rien laissé paraître. Entre deux coups de chaleur et trois kilos pris par mégarde, je suis passée à l’agence de voyage la plus éloignée de la maison.
Soleil, piscine, cocktail : enfin un véritable all inclusive à ma mesure.
Le 24 au matin, pendant que mon amour, l’homme de ma vie, relisait et agençait avec subtilité ses dernières créations pour un éditeur pas encore ennemi, j’ai simplement mis ce vinyle de Gainsbourg qu’il aime temps (oui, chez nous la loi du vinyle règne encore).
Et sur ces paroles qui s’adressaient plus à la famille qu’à toi, mon homme, ma tendresse, mon plus beau cadeau: «Je serai content quand tu seras mort, vieille canaille …», j’ai pris ma valise préparée discrètement la veille et suis partie sans claquer la porte.
Par Clamoiselle
Passionnée par les mots, l’écriture, j’ai « appris » à écrire en atelier avec un homme formidable, issu du réseau Kalame, qui animait un atelier amical, Marcel Oriane.
Mes nouvelles sont sur un blog wordpress, ouvert à mon pseudo.
Ici, nous avons un vrai personnage campé. Un personnage que l’on reconnait comme étant fondamentalement « gentil », dans le bon sens du terme. Elle ne veut pas choisir de camp, mais se lasse d’être toujours celle qui fait les efforts pour arrondir les angles, et finit par laisser les siens seuls dans leurs râleries. La raison de sa « révolte » est bien amenée. C’est une nouvelle à chute, mais à chute « préparée ». On sent venir le changement, sans savoir pourquoi, et l’explication est très bien trouvée/amenée. On retrouve une nouvelle fois le thème de la famille, et une peinture assez bien fichue d’une bascule d’habitudes, sur fond de changement de générations.
Pistes de travail possible :
Le personnage mis en scène est visiblement un peu le « juge de paix » de cette famille. Moi j’aimerais bien connaître un peu l’avis des autres personnes à son sujet, d’autant plus qu’elle n’est visiblement dupe de rien. Comme on passe en revue pas mal de gens de la famille au fil du récit, il serait possible d’introduire à chaque fois une anecdote où telle personne l’a engueulée, un autre épisode où elle a surpris une discussion murmurée désagréable sur son compte… etc. Cela instillerait que la lassitude montait en fait progressivement depuis longtemps, qu’elle n’avait besoin que d’un déclencheur (pas si facile à trouver quand on est gentil)… Le passage à l’acte devient possible parce qu’un évènement physique provoque un déséquilibre, et fait sauter les digues, mais tout était en place pour que ça soit possible. Ceci pourrait renforcer la cohérence du personnage et du texte.
Merci pour ton retour et pour les pistes de travail Gaëlle!
Ce texte est sorti comme un geyser, une catharsis jubilatoire 🙂
je vais en effet essayer de le retravailler pour étoffer le personnage central, qui après tout n’est peut-être pas si gentil.
Comme un droit de réponse laissé aux autres protagonistes.
Il n’y a plus qu’à trouver le temps …
Ce côté jubilatoire transparaît dans le texte quand on le lit, c’est d’ailleurs un de ses atouts! C’est un texte attachant et énergique, comme si la pulsion de vie qui saisit le personnage transparaissait aussi dans ton écriture. En ce sens, la forme sert aussi le fond, et c’est plutôt chouette!
Etoffer le personnage, et éclairer ses relations aux autres membres de la famille peut en effet être très riche et intéressant (il y a là-dedans une quantité de possibilités jubilatoires aussi!)
Quant au temps à trouver… Gasp, je suis mal placée pour discourir sur ce point, disons juste que je compatis, alors?…!
Je ne sais pas si tu connais Boulet, Clamoiselle, mais il a dépeint un repas de famille dans une de ses notes (écrite à l’occasion des 24h de la BD) qui me fait énormément penser à ton texte ! Des portraits déformés par le prisme de la narratrice, mais qu’on imagine tellement bien, une dynamique familiale avec les « bons » et les « méchants » (dont la place varie selon les points de vue), tout y est ! J’aime beaucoup !
(oui, alors, pour le coup, c’est pas très constructif comme commentaire, désolée…)