Jolie femme 47 ans, jeune et dynamique, profession prenante, divorcée sans enfants à charges, aimant sorties, voyages, foie gras de minuit. Cherche homme âge et goûts en rapport, bonne situation afin que les problèmes n’existent pas !
« Donne-moi ça tout de suite espèce de petite merdeuse ». Dans son braillement, il charriait un savant mélange de vapeurs d’alcool et de postillons.
Elle sentit les gouttes de salive, chaude et visqueuse s’écraser sur son visage et souiller sa peau restée miraculeusement pure et fraîche malgré les tourments qui lui furent infligés durant toutes ces années.
Il faut dire que cette jouvence qu’elle affichait insolemment était devenue au fil du temps prétexte à des « séances de correction » comme il se plaisait à les appeler. Il plongea brusquement sa main dans la chevelure touffue de sa victime et la saisit fermement par le collet. Ses doigts difformes et bouffis par des années d’alcoolémie trouvèrent leur chemin au sein de cette densité capillaire jusqu’à la nuque gracile et fluette qu’ils enserrèrent sans difficultés.
Au contact de la peau rêche, elle tressaillit. Pleinement consciente que toute manifestation exacerbée de sa part n’aurait pour effet que d’attiser davantage la colère de son bourreau, elle tentait de modérer ses réactions. Par conséquent, quand elle sentit les ongles noircis par l’incurie pénétrer à l’intérieur de sa chair et l’entailler jusqu’au sang elle ne laissa échapper qu’un feulement étouffé. Mais très vite, la douleur devint réellement intolérable elle tenta alors mollement de redresser la tête et de relever ses frêles épaules dans l’espoir de desserrer quelque peu l’étau qui désormais lui broyait à la fois les nerfs, les vaisseaux et les vertèbres et lui arrachait les quelques brins de cheveux follets s’étant malencontreusement retrouvés pris en tenailles.
Il ressentait un plaisir tel à la voir sous son emprise frémissant comme un poisson pris dans une épuisette qu’il la maintint ainsi pendant de longues secondes en la fixant dans le blanc des yeux. L’air suffisant et le sourire sardonique, il se repaissait de la détresse qui gangrénait son visage. Puis il la sentit abandonner, rabattant sa tête vers l’avant, rabaissant ses épaules et décrispant progressivement son visage pour prendre l’air résigné de celle qui désormais acceptait son châtiment comme une fatalité. Dans ces moments-là où elle était entièrement sous sa férule, il jubilait.
Usant de sa main comme d’un grappin il la tira vers le bas pour la faire asseoir. Ce n’est qu’alors qu’il relâcha la pression pour s’emparer de la feuille à l’origine de ce nouvel esclandre qu’elle s’était entretemps résolue à reposer sur la table.
À ce moment-là, elle sentit son visage s’empourprer tant elle avait honte d’avoir commis ces quelques lignes. Elle s’en voulait tant qu’elle se demanda si au final elle ne méritait pas ces sévices. Quand, observant son tortionnaire parcourir son écrit, elle aperçut l’éclair de fureur tant redouté lui traverser le regard, elle voulut aussitôt se lever et se précipiter vers lui pour se jeter à ses pieds et implorer son pardon. Elle n’eût toutefois pas l’occasion car, prescient, il la remit en place d’un geste impétueux de la main lui signifiant « halte » effectué sans même lever les yeux vers elle. Elle se rassit docilement tentant de juguler la terrible angoisse qui lui vrillait l’estomac et qui, sous l’effet du silence de mort, se métastasait en elle jusqu’à devenir panique. Elle se mit alors à haleter et plaqua fermement ses paumes comme des ventouses contre la face inférieure de l’assise afin de refouler la pulsion de fuite que lui dictait son instinct de survie.
Devinant son malaise, il en jouissait, cherchant sciemment à le prolonger. En effet, une fois que sa proie capitulait, sa fureur se muait généralement en un cynisme froid et impitoyable. Il ne pouvait que se féliciter de ce cocktail détonnant qui s’était révélé être une redoutable entreprise de domination psychologique. Jugeant au bout d’un moment qu’il l’avait assez faite mariner, il lui adressa enfin un regard de morgue et l’interpela sentencieusement de sa voix pâteuse : « Alors comme ça Madame cherche un homme. Eh oui messieurs dames vous rendez-vous compte ? il semblerait que Madame ne soit pas tout à fait satisfaite de l’homme avec qui elle partage sa vie et qu’elle ait des velléités d’aller voir ailleurs ! »
Il écarquilla des yeux baissa la tête en direction de son interlocutrice impassiblement clouée sur sa chaise. Il rapprocha suffisamment son visage afin qu’elle humât à nouveau les vapeurs éthyliques et autres miasmes qui se dégageaient de ce qui tenait davantage d’un cloaque que d’un orifice buccal. Elle put également distinguer l’infini enchevêtrement de vaisseaux qui marbraient le blanc de ses yeux exorbités et leur donnait cet aspect rougeâtre.
Ce regard reptilien, elle avait beau le connaître, il n’en demeurait pas moins qu’à chaque fois qu’elle se retrouvait face à sa vacuité et sa froideur, elle éprouvait cette même irrépressible frousse qui lui parcourait l’échine et lui glaçait le sang. Toutefois ce qui l’ébranlait bien davantage que la sensation de peur était l’insoutenable vérité face à laquelle cette dernière, quand qu’elle l’envahissait, la mettait à savoir sa totale impuissance, l’absence de toute capacité à opposer à son agresseur la moindre résistance.
Il prit alors l’air patelin et la voix doucereuse : « mais alors ma chérie mais qu’est-ce qui ne va pas entre nous ? si tu as quelque chose à dire n’hésite pas tu sais très bien que ton petit mari est toujours à ton écoute, tu le sais n’est-ce pas ? »
Le regard implorant elle se hasarda à tenter de le raisonner d’une voix chevrotante qui trahissait la fragilité de sa contenance : « non mais laisse-moi t’expliqu … »
« Ta gueule, ta gueule tu vas la fermer ta grande gueuuuule ? Ici c’est moi qui parle toi tu la fermes et tu m’écoutes tu veux aller voir ailleurs c’est ça ? tu crois vraiment qu’il y aurait un seul mec qui te trouverait potable ? tu t’es vue espèce de truie ? ». Époumoné, il laissa passer quelques instant le temps de reprendre son souffle. « Messieurs dames veuillez excuser ce court moment d’égarement, il semblerait que Madame n’ait pas compris les règles du jeu, j’espère que cette fois-ci c’est chose faite, il en va de son intérêt ». Derrière le ton emphatique et le regard entendu, la menace était clairement intelligible.
« Bon, voyons maintenant comment Madame a cherché à se vendre auprès de la gent masculine »
Quand elle comprit qu’il allait lire à voix haute ce qu’elle avait rédigé, elle plissa des yeux et serra sa mâchoire s’apprêtant à accueillir la nouvelle salve de souffrances qu’allait représenter pour elle cet exercice. En effet, si elle avait pu endurer toutes ces années de calvaire, c’était grâce au petit jardin secret qu’elle s’était aménagée une sorte d’espace vital dans lequel elle consignait ses envies, ses désirs, ses anciennes passions et même les quelques rêves qu’elle s’autorisait encore. Elle s’était au fil du temps inventé une autre vie, un univers mental créé de toutes pièces où elle s’échappait quand la réalité mortifère de son existence devenait insupportable. C’était son bol d’air, sa bouée de sauvetage, elle y parlait de sorties, voyages et de foie gras de minuit ! Elle imaginait même sa vie auprès d’un autre, pas forcément beau ou intelligent comme avait pu l’être son actuel au moment de leur rencontre, mais uniquement gentil, prévenant et ayant une bonne situation, autant d’ingrédients indispensables – elle l’avait appris à ses dépens – pour une vie sans écueils, aux antipodes de la sienne. Maintenant que ce dernier carré d’intimité allait être violé sous ses yeux, elle assistait totalement passive à la rupture du lien ténu qui la reliait encore à l’envie de vivre, à la disparition de l’ultime garde-fou qui jusque-là se dressait entre elle et l’irréparable.
« Jolie femme, oui messieurs dames, vous avez bien entendu, il est écrit jolie femme ». La voix était posée à la manière d’un avocat effectuant sa plaidoirie, le regard enjoué, le port de tête altier, le torse bombé et les mains qui gesticulaient en accompagnement de ses paroles pour leur donner un surcroît d’éloquence. Mais brusquement il se relâcha se départant aussitôt de sa rectitude et sa consistance au profit d’une posture voutée et dégingandée. Son visage également abandonna tout aussi soudainement l’expression intense de l’orateur pour retrouver le regard diffus et épouser à nouveau les traits distordus de l’ivrogne. Il éructa alors du coin des lèvres à la manière poissarde d’un pilier de comptoir « bah j’vais vous dire heureusement quizon po dmaaandé une photo mwo j’vous l’dis à c’moment lo elle aurait moins fait la maligne ». Satisfait de son petit numéro, il fut pris d’un gloussement qui monta crescendo pour s’achever en un éclat de rire gras dont les accents diaboliques tonnaient dans toute la pièce. Une fois que son esclaffement atteignit son acmé, il l’interrompit brusquement. « Jolie femme oui c’est ça » marmonna-t-il cette fois-ci comme s’il se parlait à lui-même puis guigna dédaigneusement en sa direction. « 47 ans …. mouais enfin elle en fait bien dix de plus n’est-ce pas messieurs dames » il s’adressait à nouveau à cet auditoire imaginaire en regardant dans le vide droit devant lui « c’est bien ce que je pensais ». Il opinait du chef comme si lui avait été donnée la réponse qu’il attendait.
« Jeune et dynamique pfffff … mais tu t’es vue espèce de vieille peau, tu ne ressembles à rien avec ta gueule de travers et « dynamique » tu dis ? Mais quelle bonne nouvelle ! Tu vas donc pouvoir nous montrer toute l’étendue de ton dynamisme dorénavant et t’occuper un peu mieux de cet appartement qui ressemble à un bouge depuis que tu y as mis les pieds et c’est pareil pour ma vie d’ailleurs, tu l’empoisonnes depuis que tu y es entrée t’es vraiment une créature maudite ».
Dans la foulée de son laïus, il cracha au sol comme pour accentuer son mépris.
« Profession prenante … mais oui mais tout à fait, à partir de maintenant tu vas découvrir ce qu’est réellement une profession prenante quand tu vas te mettre aux tâches ménagères c’est très bien je vois que tu avais anticipé ».
Il avait adopté cette voix haut perchée que prennent les adultes quand ils s’adressent aux enfants.
« Divorcée sans enfants à charge … divorcée ? ah oui vraiment Madame est divorcée ? et moi je suis qui alors oui moi qui est-ce que je suis ? ».
Consciente qu’un tel mot allait inévitablement provoquer une nouvelle explosion, elle secoua frénétiquement la tête et déploya toute l’énergie qui lui restait pour retenir les larmes qu’elle sentait irrépressiblement monter en elle.
Débordé par sa fureur il froissa impétueusement le papier. « Mais merde enfin meeeeerde mais comment oses-tu ? Après tout ce que je fais pour toi comment oses-tu ne serait-ce que penser à me quitter mais pour qui tu te prends espèce de petite merde oui voilà ce que tu es une petite merde qui se prend pour je ne sais quoi mais réveille-toi putain tu n’es qu’une petite meeeerdeee ». Il rugissait tellement que ses cordes vocales finirent par le lâcher. Il poursuivit donc la voix éraillée mais toujours avec la même hargne : « combien de fois dois-je te le répéter pour que tu comprennes putain ? ». Il percuta alors la table d’un coup de poing rageur.
L’impact fut tel que le grondement produit la fit sursauter. Elle sentit même le sol trembler sous ses pieds. Chacune de ces paroles avait été une lame qui lui avait lacéré le cœur jusqu’à ce dernier acte qui, point d’orgue de ce spectacle morbide, portait l’estocade aux ultimes réminiscences de ce qui fut un jour son estime de soi.
Après avoir cogné la table en y mettant tout le fiel qu’il portait en lui, il se calma instantanément. Il se tenait désormais debout, silencieux, les yeux rivés vers le ciel et la respiration lourde. Les effets de l’alcool commençaient à se dissiper. Une fois revenu à lui, il s’engagea en direction de la chambre. Avant de disparaître à l’intérieur de la pièce il lança nonchalamment sans se retourner « allez madame est de corvée ce soir, elle doit contenter son mari … en attendant de trouver un nouveau allez viens chérie j’en ai pas fini avec toi ce soir ».
Elle resta inerte sur la chaise pendant encore quelques secondes les membres perclus. Était-ce dû au contrecoup de l’extrême tension qui l’avait envahie ou bien à sa volonté de profiter des rares instants de répit qui s’offraient à elle ? Elle n’eut pas le loisir d’y réfléchir car elle fût très vite tirée de sa léthargie par une seconde sommation « allez viens connasse je ne vais quand même pas venir te chercher non mais, j’attends moi ». Exsangue, elle se leva péniblement et traina son corps meurtri en direction de la chambre, comme un condamné à mort qui va à l’échafaud. Mais curieusement, en dépit de l’âpreté de l’épreuve qui l’attendait, elle ne faisait montre d’aucune détresse, ce sentiment étant l’apanage de ceux qui avaient encore quelque chose à espérer. Car qu’est-ce que la détresse sinon une forme d’exaltation de la volonté de vivre ? Elle en revanche n’avait désormais pour horizon que la boîte de barbituriques soigneusement dissimulée dans l’armoire à chaussures.
Elle priait d’ailleurs pour qu’elle ne fût pas périmée.
Manu a bossé ces derniers jours.bravo! Perso je reste sur la même impression d’un texte rondement menée sur le fond, l’ambiance, le ressenti, …..
Sur la forme et le vocabulaire suis encore dubitative sur des bricoles:
La vacuité (dans le regard): le regard de cet homme ne peut pas être vide…. il est plutôt plein de haine.
Quant à la détresse (paragraphe de conclusion) , associée à un exaltation de vivre? Suis pas très sûre de cette association…..
J’adore le dernier propos: médicaments périmés ou pas? Excellent.
Et je souris à chaque fois que je repense à l’origine du cloaque, car je connaissais la « bouche d’egout » mais j’ai découvert grâce à Francis, « le trou du cul du serpent » . On en apprend tous le jours….
Bonne journée à toutes et tous.
Bonjour et merci pour le retour. Concernant les remarques je voulais justement alterner entre des phases de haine et de fureur et des phases de sadisme froid ou le regard est vide cela accentuait à mon goût l’aspect maléfique et vicieux du personnage ensuite concernant la détresse l’idée était que si on ressent de la détresse face à l’adversité c’est que l’on tient à la vie mais si on a définitivement désespéré comme c’est le cas du personnage alors on ne ressentira plus de détresse car on a plus rien à perdre mais peut être ces deux idées la ont elles pas été correctement transposées à l’écrit ?