» Revanche…Revanche… RE-VAN-CHE ! »
Une petite boule de poils ressemblant à un mini griffon sortit du buisson en prenant son temps.
« Ah quand même, j’ai failli attendre. Allez on rentre. Tu ressembles à la perruque de la voisine par un jour de grand vent. »
Lucie tourna les talons, suivie par sa petite chienne, direction la maison.
Revanche était arrivée comme ça, devant la porte, il y avait 3 ans. Lucie l’avait faite entrer, elle n’était jamais repartie.
C’était le premier nom qui lui était venu à l’esprit, celui-là ou un autre quelle importance.
La maison avait été vidée, elle s’était retrouvée seule assise au milieu du salon, incapable de réfléchir, de faire autre chose que de rester là, par terre, les yeux fixés sur le plus rien. A part quelques bricoles, ses affaires à elle, tout avait été empaqueté, embarqué. Un vrai pro de la magie, il était là et hop plus là ! Les projecteurs s’étaient éteints, le spectacle était fini. Un frisson la secoua « bouge, lève-toi, va prendre l’air ». Endolorie par l’hébétude, elle se leva et effectua une sortie… jusqu’au seuil de la maison. Trop difficile d’affronter cette lumière éclatante d’un jour d’été, totalement irrespectueuse de son chagrin. Quelques nuages auraient été plus appropriés. Elle allait refermer la porte lorsqu’elle vit cette petite chienne maigrichonne, assise sur le paillasson. Elles se regardèrent :
« Alors toi aussi ? …Entre. »
Il avait encore joué, jeté les mauvais dés ; ils étaient venus et avaient tout pris. Une histoire de poudre tout ça, celle qu’il n’avait cessé de lui jeter aux yeux pendant des années, aveuglante, et celle d’escampette pour tirer sa révérence.
Le choc passé, la colère s’installa. Elle allait lui mettre le grappin dessus , il fallait qu’il paie la dette qu’il avait envers elle !
Elle se lança dans des recherches assidues pour le retrouver, par internet, ses proches, ses amis, les lieux qu’il fréquentait. Oui, il était vivant ; non, ils avaient promis de ne pas lui dire où il était parce qu’au final, elle était qui pour eux, même pas sa femme, juste sa concubine pendant cinq ans, et pas d’enfant… tiens d’ailleurs, s’ils avaient eu un enfant, tout ça aurait pu être évité, elle n’en a pas voulu alors qu’elle ne s’en prenne qu’à elle ! Des gens charmants.
La colère fit place à une détermination tenace et obsessionnelle de vengeance. Revanche était l’oreille complaisante de chaque plan que Lucie échafaudait. Elle ne dormait presque plus, allait surveiller, en planque dans sa voiture, devant chez des ex-amis au cas où il passerait chez eux, était même allée jusqu’en Espagne voir une vague cousine dont il parlait de temps en temps. Elle était devenue une machine à ruminer. Ça n’avait aucun sens, il fallait qu’elle se sorte de ce cercle vicieux de vengeance, la destruction à petit feu. C’était lui permettre de continuer à avoir du pouvoir sur elle. Il prenait tout l’espace.
Arrêter cette violence qu’elle s’infligeait, accepter pour guérir, la résilience comme alliée. Pas de fuite en avant en déménageant, s’éloignant. Se réapproprier la maison, un grand coup de frais, après tout, elle était à elle avant lui ; remettre ses baskets pour aller courir dans tout son quartier avec Revanche ; chaque foulée comme pas vers la guérison ; réapprendre à avoir une vie sociale ; croire à nouveau en elle, en sa capacité de séduction aussi, « miroir, mon beau miroir, je vais t’en mettre plein le reflet! ». Elle se mit même à la méditation ; elle avait entendu dire que c’était des moments de souffle, de découverte et de retrouvailles avec soi-même, alors mieux qu’un psy et gratuit.
Au milieu de son salon, assise par terre, Lucie regardait autour d’elle, tout était en accord avec elle, plus aucune trace de poudre. Elle ferma les yeux, plus de tempête en elle, apaisée, elle s’était trouvée, avait fait la paix avec elle-même et le passé. Elle se leva, Revanche sur ses talons, une petite balade s’imposait par une si belle journée d’été. Elle ouvrit la porte, une ombre lui cacha le soleil. Il était là devant elle, mine défaite, vieilli :
» On m’a dit que tu m’avais cherché…
– Oui, mais c’était il y a longtemps, avant.
– Avant ?
– Avant de comprendre que ton départ était le plus cadeau que tu m’aies fait. Prends soin de toi, tu as mauvaise mine. Tu viens, Revanche. »
Pas un seul nuage dans le ciel, la foulée fut aérienne.
Le déni, la force retrouvée, la douleur éradiquée, une renaissance simple, et de la jubilation douce comme revanche. La palette est riche. Une belle chute qui fonctionne grâce à une belle ellipse ; laquelle nous fait soudain prendre une hauteur folle (celle du personnage sur son histoire, que l’on ressent avec de vrais morceaux d’oxygène) : « Pas un seul nuage dans le ciel, la foulée fut aérienne » (Malgré la tentation, je n’ai pas voulu illustrer le texte avec une telle image, afin de ne pas gâcher cette chute). Je suis ravi. À noter que la structure du texte est peu ou prou la même que celle de Groult (qui traite aussi d’un amour enfui). Du coup, question : la revanche suite à la douleur sentimentale se traite-t-elle de semblable façon ? Soit : 1- je suis dans un présent apaisé 2- qui me fait réfléchir et tirer un bilan des mois passés, 3- de façon à apprécier en un instant cette incroyable réussite d’être sorti du tunnel de malaise en conscientisant le chemin accompli. Oui, sans doute : et c’est pourquoi ainsi chronologiquement décrite la résilience accomplie est si perceptible et partagée par le lecteur. On a tous en nous (non pas du Tennessee, hein), le souvenir de tels épisodes de vie. La structure du texte, parce que ces moments nous les avons en nous ainsi inscrits, permet immédiatement d’impliquer le lecteur. Je ne suis pas certain que l’on puisse écrire –sur du format bref- autrement ce type de sentiment, de victoire sur soi, de l’inimaginable détachement que l’on ressent lorsqu’on est sorti d’une période quelque peu hallucinée. Celle où nous n’étions pas nous-même.
Que la foulée soit aérienne est remarquable : finir sur une image de grands espaces ou de je ne sais quoi de métaphorique n’aurait pas communiqué le même effet. Finir en jugeant la foulée (donc une préoccupation personnelle, égocentrée), est bien le signe que le personnage très distancé du passé s’est définitivement reconstruit et est résolu à garder la leçon qu’il doit se surveiller, se bichonner. Le dialogue qui précédait n’était donc pas de la posture (la non description du monsieur est une bonne chose : il est devenu insignifiance). Il y a de l’air, de la vie, de l’espace et de la liberté ultime dans cette running chute, —et c’est bon. (Mais on aura tout de même dans la nouvelle vie, cette contrainte des croquettes à ne pas oublier de donner à Revanche : rien n’est jamais parfait) 🙂
La photo que vous avez mise est exactement celle qu’il fallait. Quelle bouille de douceur avec le brushing « éventé » cette Revanche, elle mérite les meilleures croquettes.
Vivement mars pour une autre copie ! Du pain sur la planche m’attend mais petite-fille de boulanger, même pas peur 😉 Merci.
Excellent! J’ai franchement ris. On passe de la « machine à ruminer » à nous en mettre « plein le reflet », pour finir dans une foulée aérienne par dire « t’as mauvaise mine toi! ». Bien fait pour lui!
Entièrement d’accord, ah mais
J’ai beaucoup aimé le rythme de votre texte et je suis tombée amoureuse de revanche dès le premier instant bravo
Merci beaucoup. Revanche est unique
Merci, touchée
Conquise, moi aussi, par ce texte, et j’ai pensé comme Francis sur la fin: l’enchainement de formules extrêmement bien choisies: « Plus aucune trace de poudre »… « c’était avant »… « la foulée fut aérienne » pose cette résilience comme un fait évident. Khéa ne nous le démontre pas par A+B pour nous convaincre, elle nous le dit, simplement, parce que c’est une évidence. Et même si ça semble bizarre, ce ne sont jamais les démonstrations qui sont les plus convaincantes, en écriture, mais bien les faits. Donc merci !
Merci beaucoup !!!!!
J’aime l’idée que la reconstruction passe par la présence de cette petite boule de poil… Et quelle belle écriture…
Merci
Merci ptiteco
Décidément, encore un beau texte qui fait écho ! On vit avec l’héroïne (oui, c’est plus qu’une narratrice, c’est une héroïne, carrément !), on suit le passage de l’ombre à la lumière… Et l’écriture est si juste ! Bravo ! Elle accompagne par de très belles images, donne un éclairage saisissant, mais sans jamais alourdir… Tu as le sens de la formule !
Rooooh merci Secotine 🙂