Comme au printemps dernier. Il ne faudrait pas qu’il s’habitue. J’avoue que ce n’est pas mon activité favorite. Une disparition inexpliquée. Il souhaite une collaboration aussi efficace que la dernière fois. Étrange homme que cet inspecteur. Bien loin d’Adamsberg. Il percute ses paroles à coup de gros-mots bien sentis. Sous perf de café, gestes saccadés. Bon, il sait mener son équipe. Étonnant qu’il y revienne, tout de même. La cohabitation avait été difficile. Ils doivent être dans une sacrée impasse.
J’ai tout noté sous ses yeux attentifs. La disparition de la jeune fille et de l’aïeule. La voiture dans notre vieille forêt toutes portes ouvertes sous la pluie. La maison de la grand-mère vide, les courses de la petite dans la cuisine, son imperméable rouge posé sur la chaise et le message sur les bouts de papier déchirés, du Charles Perrault recraché. Rapide coup d’œil pour vérifier ma culture des contes. Regard vacillant. Il avait l’air d’un cartésien, peu habitué aux mondes sensibles. Alors entre un tueur jouant au loup et une visite chez moi pour désembourber l’enquête, le pauvre… J’en souriais. Intérieurement. Ne pas le vexer. Il semblait prendre son métier à cœur et commençait à douter de les retrouver vivantes. J’imagine que c’est lui qui annonce les mauvaises nouvelles aux familles. J’ai bien tenté de lui offrir une tisane mais… Deux tasses bien serrées plus tard, il avait sorti la photo de la jeune fille, les doigts tremblants de caféine. Il me prend pour une voyante ? Il avait caché ses mains sous la table et s’était cette fois abstenu de tout commentaire sur ses croyances à mon égard. Un moment silencieux, il s’était levé d’un bond, m’avait serré la main ses yeux plantés dans les miens et était parti.
J’ai ouvert la fenêtre pour aérer et laisser entrer le bruit rythmé de la pluie, elle qui nettoie tout, des indices aux mots lancés sans précaution. Un peu d’encens pour chasser l’odeur de peur, une bougie pour adoucir la lumière et un peu pour coller au cliché aussi ! Il est encore là, dans sa voiture banalisée garée en face. Le chat vient de rentrer, de mauvaise humeur, et s’installe à la place où était assis l’inspecteur. Je vais me faire cette tisane finalement et appeler la mère.
Un long temps, malgré son angoisse, elle m’a parlé avec amour et tendresse de son bébé, puis de la jeune fille qu’elle est devenue, et de sa propre mère. J’ai écouté, je me suis laissée envelopper dans les couleurs des souvenirs, la musique de ses paroles, les vibrations. Je l’ai remerciée dans un de ses silences, teinté de l’espoir étrange que mon appel suscitait.
Je me suis installée sur mon tapis, un peu éloignée de la cheminée pour ne pas être gênée par la danse des flammes. Yeux fermés, j’ai focalisé mon attention sur quelques grandes respirations. Rituel habituel d’ancrage, bien précis. Calme et apaisement. Bien centrée sur moi-même. Placer ma conscience autrement. En ouverture. Ici et dans le même mouvement, le même instant, partout autour. Poser mes pensées sur l’écran intérieur, puis reculer. D’un pas, de deux. Et me sentir partir, voir défiler les images, les couleurs, tous mes sens en éveil. Visiter des endroits hors du temps et me rappeler de mon but, recréer les sensations de la conversation, me connecter au flux d’informations. Capter une particule identique, plusieurs. Laisser venir. Une image encore floue. Ventre, non boyau de terre. Grille, froid et rouille. Peur, pleurs. La scène s’agence, prend vie. Les créatures du lieu semblent heurtées par cette malfaisance humaine. Localiser, avec leur aide. Difficile, mes critères géographiques sont incompréhensibles dans leur plan. Trouver un repère. Situer par rapport au plus vieil arbre de la forêt, toutes sentent sa puissance bienfaisante. Là ! Garder le contact avec l’endroit. Je reconnais, j’y suis déjà passée. Les murs en ruine, les moisissures. Un écœurement profond m’avait fait rebrousser chemin. Des vibrations noires, rauques, puantes. Je travaille pour la Lumière, moi ! Je n’avais pas pu affronter cela à l’époque. J’ouvre les yeux brusquement. Le bois crépite, la tisane est froide dans la tasse posée à côté de moi. Allons purifier ce lieu et les en sortir. La chasse à l’homme sera pour l’inspecteur, chacun son job. Je décroche le téléphone et compose son numéro : « Je vous attends ». Il n’a même pas été surpris cette fois. Je l’aime bien, il est plus fin qu’il ne paraît. Qui sait, un jour, il acceptera peut-être une tisane ou une absinthe maison?
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Voici, avec la tueuse à gages de Khéa, l’autre personnage passionnant de cet atelier : la médium (?), voyante (?), sorcière (?) qui aide en douce un flic. Il y a là au passage une matière romanesque très intéressante (et une allusion aussi puisque Adamsberg est le personne de Fred Vargas qui avance dans ses enquêtes par des intuitions soudaines, pas toujours rationnelles ou conventionnelles). L’univers est dense, cohérent et immédiatement immersif (effet pas si évident à réussir sauf s’il est déjà très construit dans l’esprit de l’auteure). Le style, travaillé et pertinent dans sa forme sert parfaitement le climat. Economie de moyens là aussi avec efficacité : les images inquiétantes, angoissantes… C’est un clip fantastique en somme, avec sa succession d’images rapides, floues, déstabilisantes. Enfin, un sous-récit qui se dessine (une idylle entre eux ? De nouvelles aventures?) : soit l’univers qui continue hors champ, qui donne envie d’en avoir plus… et donc un effet de réel. J’aime beaucoup. C’est une belle réussite, du bel ouvrage. Bravo.
Bon et bien un grand merci! Que dire… d’habitude je réécris une 2ème, une 3ème voire une 4ème version. Je me sens en vacances et en même temps désoeuvrée. Ah oui, c’est un peu la suite de mon texte de septembre (enfin, la 2ème version dans les commentaires), qui avait dû d’ailleurs choquer quelques personnes à cause des gros mots de l’inspecteur, mais je décline toute responsabilité là-dessus ^^
🙂 Pas de problème… Je n’avais pas lu votre texte de septembre. Je n’ai repris l’atelier qu’en décembre. C’est un donc roman qui se construit d’atelier en atelier 😉 ?
oui oui je sais bien que votre reprise était en décembre et en plus je ne sais pas si les participants de cet atelier étaient pour certains sur celui de septembre, peut-être Groux… Pour le roman, qui sait…j’avoue avoir fait la suite de tête, sans trop relire l’écrit de septembre, il va falloir que je vérifie si tout colle!
Je voulais faire une copier-coller ici pour tout le monde mais comme c’est protégé je ne peux pas…
Ann… j’ai adoré !!! Je ne peux rien dire de mieux. Ah si, j’accepterais bien une tisane.
L’univers, j’ai plongé dedans, j’ai eu peur aussi, les sensations je les ai partagées. Les personnages sont attachants, j’aimerais savoir ce qu’ils vont devenir.
Bravo ! Bravo !
J’aimerais bien lire ton texte de septembre.
Oh ça marche! J’ai pu le copier, je ne sais pas si je m’y prenais mal ou si vous avez débloqué un truc, Francis, enfin bref le voici:
« Putain, fait chier, merde ! ». Se faire passer un savon par la chef alors que toute son équipe était sur le feu depuis une semaine ! Ok, l’enquête piétinait , s’embourbait même, prenait un tournant foireux. Et ce temps ! Comme si la pluie incessante depuis mardi essayait de leur faire rentrer dans la tête un quelconque indice pourtant évident, de force, encore. La situation était à l’image de cette disparition : embrumée.
Une Mini verte avait été retrouvée par un chasseur, toutes portes ouvertes, feux en position allumée, batterie à plat, enfoncée dans un chemin forestier. Rien que ça…ça fleurait pas bon, comme aurait dit son aïeule. Non, tout ça vous embaumait les narines d’une drôle de petite odeur tenace, un peu rance. Les averses successives avaient effacé toute trace alentour, évidemment. Cette partie de la forêt rendue à l’état sauvage depuis des lustres puait littéralement la mort : bois putréfié, lierre envahissant, couche de feuilles grouillantes d’insectes au sol. Tout ce qu’il aimait, lui le citadin muté dans ce trou perdu. La battue n’avait rien donné, les chiens ne sentaient rien ou sentaient trop, avec cette putain de tempête déchaînée. Même les éléments étaient contre eux ! Mais que foutait-elle là, la bagnole ?
Elle devait apporter quelques trucs à bouffer à sa grand-mère patraque avait dit sa mère. La vieille habitait la première maison du lieu dit, à l’orée de la forêt. Ils avaient foncé : vide ! Des cendres dans la cheminée, lit ouvert et draps mis à mal. Sacs à provisions posés dans la cuisine, imper rouge de la fille posé sur une chaise. Elles seraient reparties? Sans l’imper ? Bof, ou pas de leur plein gré. Les autres avaient fini par embarquer la caisse pour la désosser. Ils avaient envahi les lieux, minutieusement cherché, sans se presser, avec tout leur attirail.
Attendre.
Incapable de rentrer prendre une douche, se raser, se changer. Il était hirsute, il sentait pas la rose, fringues froissées, les yeux injectés de sang par manque de sommeil.
Et puis Jacques l’avait appelé, avait gueulé de s’être fait poussé au cul, tout était urgent pour tout le monde…
Délivrance.
Et puis il lui avait sorti le truc: la pluie avait délavé la vieille Austin, peu probable qu’on y trouve quoi que ce soit de valable, quelques empreintes de la fille, c’est tout; pour la maison, confirmation pour la serrure intacte, empreintes de la fille et de la grand-mère, ils cherchaient sur les draps…Tout un poème. Et aussi, ces petits bouts de papier, comme mâchouillés, éparpillés aux quatre coins de la maison. Ça avait demandé quelques efforts pour reconstituer le tout :
« Et ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant qu’Il mange.
Ne sont pas de la même sorte :
sans fiel et
privés, complaisants
Suivent les jeunes dem
Jusque dans les maiso»
C’était quoi c’te merde ! Un connard en mal d’inspiration ? Jacques lui avait envoyé le texte en même temps qu’il le lui lisait. « Tape-le dans google, tu vas te marrer », avait-il dit. Hein ?
Consternation.
Ça foutait les poils, c’est con.
Action.
Il avait rameuté l’équipe. Pas mal de coups de fils, lectures, recoupements et cogitations plus tard : silence lourdingue après le debrief. Traverser la salle sous leurs regards paumés, partir à l’abattoir vers son bureau, pieds traînants, dos voûté. Le goût métallique à nouveau dans la bouche, il était allé frappé chez la patronne, rendre compte des trouvailles de la Scientifique, et des leurs. Le fax crépitait sans interruption depuis cet après-midi, empilant encore des cas de disparition de jeunes filles. Une, deux, trois, neuf… Pour chaque affaire, quelques mots venant compléter le texte, maintenant entier. Nom de… Nom de… Un mot, un seul différait. Il en perdait les siens ! Trop de café, pas assez de sommeil.
Concentration.
Concrètement, on avait quoi ? Interrogatoires des proches et des voisins : rien dans aucune des affaires; indices : le texte , suspect : … ; corps : aucun, jamais. Un cauchemar… La panique s’emparait de lui : et si le tueur considérait son œuvre comme… achevée? Ça le rendait fou ! Et la chef qui avait hurlé : « vous me voyez dire au Préfet qui on cherche inspecteur ? » Et qui l’avait fichu dehors à coups de menaces pas reluisantes pour sa carrière « si on ne lui apportait pas fissa des avancées plus digestes à se mettre sous la dent ! » Très drôle !
Sauver sa peau…Traquer.
Khea merci et …romarin, mélisse, thym?( tu veux pas une petite absinthe plutôt!!!?)
Je suis intriguée par ces bouts de papier mâchouillés….
(L’absinthe…euh…plutôt tisane )